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Le Bourgeois Gentilhomme MONSIEUR JOURDAIN, DEUX LAQUAIS, MAÎTRE DE MUSIQUE, MAÎTRE à DANSER, VIOLONS, MUSICIENS ET DANSEURS.
Scène II
MONSIEUR JOURDAIN, DEUX LAQUAIS, MAÎTRE DE MUSIQUE, MAÎTRE
à DANSER, VIOLONS, MUSICIENS ET DANSEURS.
MONSIEUR JOURDAIN: Hé bien, Messieurs? Qu'est-ce? me
ferez-vous voir votre petite drôlerie?
MAÎTRE à DANSER: Comment? quelle petite drôlerie?
MONSIEUR JOURDAIN: Eh la. comment appelez-vous cela? Votre
prologue ou dialogue de chansons et de danse.
MAÎTRE à DANSER: Ah, ah!
MAÎTRE DE MUSIQUE: Vous nous y voyez préparés.
MONSIEUR JOURDAIN: Je vous ai fait un peu attendre, mais c'est
que je me fais habiller aujourd'hui comme les gens de qualité;
et mon tailleur m'a envoyé des bas de soie que j'ai pensé
ne mettre jamais.
MAÎTRE DE MUSIQUE: Nous ne sommes ici que pour attendre votre loisir.
MONSIEUR JOURDAIN: Je vous prie tous deux de ne vous point en
aller, qu'on ne m'ait apporté mon habit, afin que vous me puissiez voir.
MAÎTRE à DANSER: Tout ce qu'il vous plaira.
MONSIEUR JOURDAIN: Vous me verrez équipé comme il faut,
depuis les pieds jusqu'à la tête.
MAÎTRE DE MUSIQUE: Nous n'en doutons point.
MONSIEUR JOURDAIN: Je me suis fait faire cette indienne-ci.
MAÎTRE à DANSER: Elle est fort belle.
MONSIEUR JOURDAIN: Mon tailleur m'a dit que les gens de
qualité étaient comme cela le matin.
MAÎTRE DE MUSIQUE: Cela vous sied à merveille.
MONSIEUR JOURDAIN: Laquais! holà, mes deux laquais!
PREMIER LAQUAIS: Que voulez-vous, Monsieur?
MONSIEUR JOURDAIN: Rien. C'est pour voir si vous m'entendez bien.
(Aux deux maîtres.) Que dites-vous de mes livrées?
MAÎTRE à DANSER: Elles sont magnifiques.
MONSIEUR JOURDAIN. Il entr'ouvre sa robe, et fait voir un
haut-de-chausses étroit de velours rouge, et une camisole de
velours vert, dont il est vêtu: Voici encore un petit
déshabillé pour faire le matin mes exercices.
MAÎTRE DE MUSIQUE: Il est galant.
MONSIEUR JOURDAIN: Laquais!
PREMIER LAQUAIS: Monsieur.
MONSIEUR JOURDAIN: L'autre laquais!
SECOND LAQUAIS: Monsieur.
MONSIEUR JOURDAIN: Tenez ma robe. Me trouvez-vous bien comme cela?
MAÎTRE à DANSER: Fort bien. On ne peut pas mieux.
MONSIEUR JOURDAIN: Voyons un peu votre affaire.
MAÎTRE DE MUSIQUE: Je voudrais bien auparavant vous faire
entendre un air qu'il vient de composer pour la sérénade
que vous m'avez demandée. C'est un de mes écoliers, qui a
pour ces sortes de choses un talent admirable.
MONSIEUR JOURDAIN: Oui, mais il ne fallait pas faire faire cela
par un écolier, et vous n'étiez pas trop bon vous-même
pour cette besogne-là.
MAÎTRE DE MUSIQUE: Il ne faut pas, Monsieur, que le nom
d'écolier vous abuse. Ces sortes d'écoliers en savent
autant que les plus grands maîtres, et l'air est aussi beau
qu'il s'en puisse faire. Écoutez seulement.
MONSIEUR JOURDAIN: Donnez-moi ma robe pour mieux entendre.
Attendez, je crois que je serai mieux sans robe. Non;
redonnez-la-moi, cela ira mieux.
MUSICIEN, chantant:
Je languis nuit et jour, et mon mal est extrême,
Depuis qu'à vos rigueurs vos beaux yeux m'ont soumis;
Si vous traitez ainsi, belle Iris, qui vous aime,
Hélas! que pourriez-vous faire à vos ennemis?
MONSIEUR JOURDAIN: Cette chanson me semble un peu lugubre, elle
endort; je voudrais que vous la pussiez un peu ragaillardir
par-ci, par-là.
MAÎTRE DE MUSIQUE: Il faut, Monsieur, que l'air soit
accommodé aux paroles.
MONSIEUR JOURDAIN: On m'en apprit un tout à fait joli, il y a
quelque temps. Attendez. Là. comment est-ce qu'il dit?
MAÎTRE à DANSER: Par ma foi! je ne sais.
MONSIEUR JOURDAIN: Il y a du mouton dedans.
MAÎTRE à DANSER: Du mouton?
MONSIEUR JOURDAIN: Oui. Ah!
Monsieur Jourdain chante.
Je croyais Janneton
Aussi douce que belle, Je croyais Janneton Plus douce qu'un mouton:
Hélas! hélas! elle est cent fois, Mille fois plus cruelle,
Que n'est le tigre aux bois.
N'est-il pas joli?
MAÎTRE DE MUSIQUE: Le plus joli du monde.
MAÎTRE à DANSER: Et vous le chantez bien.
MONSIEUR JOURDAIN: C'est sans avoir appris la musique.
MAÎTRE DE MUSIQUE: Vous devriez l'apprendre, Monsieur, comme
vous faites la danse. Ce sont deux arts qui ont une étroite
liaison ensemble.
MAÎTRE à DANSER: Et qui ouvrent l'esprit d'un homme aux
belles choses.
MONSIEUR JOURDAIN: Est-ce que les gens de qualité apprennent
aussi la musique?
MAÎTRE DE MUSIQUE: Oui, Monsieur.
MONSIEUR JOURDAIN: Je l'apprendrai donc. Mais je ne sais quel
temps je pourrai prendre; car, outre le Maître d'armes qui me
montre, j'ai arrêté encore un Maître de philosophie, qui
doit commencer ce matin.
MAÎTRE DE MUSIQUE: La philosophie est quelque chose; mais la
musique, Monsieur, la musique.
MAÎTRE à DANSER: La musique et la danse. La musique et la
danse, c'est là tout ce qu'il faut.
MAÎTRE DE MUSIQUE: Il n'y a rien qui soit si utile dans un
état que la musique.
MAÎTRE à DANSER: Il n'y a rien qui soit si nécessaire
aux hommes que la danse.
MAÎTRE DE MUSIQUE: Sans la musique, un état ne peut subsister.
MAÎTRE à DANSER: Sans la danse, un homme ne saurait rien faire.
MAÎTRE DE MUSIQUE: Tous les désordres, toutes les guerres
qu'on voit dans le monde, n'arrivent que pour n'apprendre pas la musique.
MAÎTRE à DANSER: Tous les malheurs des hommes, tous les
revers funestes dont les histoires sont remplies, les bévues
des politiques, et les manquements des grands capitaines, tout
cela n'est venu que faute de savoir danser.
MONSIEUR JOURDAIN: Comment cela?
MAÎTRE DE MUSIQUE: La guerre ne vient-elle pas d'un manque
d'union entre les hommes?
MONSIEUR JOURDAIN: Cela est vrai.
MAÎTRE DE MUSIQUE: Et si tous les hommes apprenaient la
musique, ne serait-ce pas le moyen de s'accorder ensemble, et de
voir dans le monde la paix universelle?
MONSIEUR JOURDAIN: Vous avez raison.
MAÎTRE à DANSER: Lorsqu'un homme a commis un manquement
dans sa conduite, soit aux affaires de sa famille, ou au
gouvernement d'un état, ou au commandement d'une armée, ne
dit-on pas toujours: "Un tel a fait un mauvais pas dans une
telle affaire"?
MONSIEUR JOURDAIN: Oui, on dit cela.
MAÎTRE à DANSER: Et faire un mauvais pas peut-il
procéder d'autre chose que de ne savoir pas danser?
MONSIEUR JOURDAIN: Cela est vrai, vous avez raison tous deux.
MAÎTRE à DANSER: C'est pour vous faire voir l'excellence et
l'utilité de la danse et de la musique.
MONSIEUR JOURDAIN: Je comprends cela à cette heure.
MAÎTRE DE MUSIQUE: Voulez-vous voir nos deux affaires?
MONSIEUR JOURDAIN: Oui.
MAÎTRE DE MUSIQUE: Je vous l'ai déjà dit, c'est un petit
essai que j'ai fait autrefois des diverses passions que peut
exprimer la musique.
MONSIEUR JOURDAIN: Fort bien.
MAÎTRE DE MUSIQUE: Allons, avancez. Il faut vous figurer
qu'ils sont habillés en bergers.
MONSIEUR JOURDAIN: Pourquoi toujours des bergers? On ne voit que
cela partout.
MAÎTRE à DANSER: Lorsqu'on a des personnes à faire
parler en musique, il faut bien que, pour la vraisemblance, on
donne dans la bergerie. Le chant a été de tout temps
affecté aux bergers; et il n'est guère naturel en dialogue
que des princes ou des bourgeois chantent leurs passions.
MONSIEUR JOURDAIN: Passe, passe. Voyons.
DIALOGUE EN MUSIQUE
UNE MUSICIENNE ET DEUX MUSICIENS
Un cur, dans l'amoureux empire,
De mille soins est toujours agité:
On dit qu'avec plaisir on languit, on soupire;
Mais, quoi qu'on puisse dire,
Il n'est rien de si doux que notre liberté.
PREMIER MUSICIEN
Il n'est rien de si doux que les tendres ardeurs
Qui font vivre deux cours Dans une même envie.
On ne peut être heureux sans amoureux désirs:
ôtez l'amour de la vie, Vous en ôtez les plaisirs.
SECOND MUSICIEN
Il serait doux d'entrer sous l'amoureuse loi,
Si l'on trouvait en amour de la foi;
Mais, hélas! Ô rigueur cruelle!
On ne voit point de bergère fidèle,
Et ce sexe inconstant, trop indigne du jour,
Doit faire pour jamais renoncer à l'amour.
PREMIER MUSICIEN
Aimable ardeur,
MUSICIENNE
Franchise heureuse,
SECOND MUSICIEN
Sexe trompeur,
PREMIER MUSICIEN
Que tu m'es précieuse!
MUSICIENNE
Que tu plais à mon cur!
SECOND MUSICIEN
Que tu me fais d'horreur!
PREMIER MUSICIEN
Ah! quitte pour aimer cette haine mortelle.
MUSICIENNE
On peut, on peut te montrer Une bergère fidèle.
SECOND MUSICIEN
Hélas! où la rencontrer?
MUSICIENNE
Pour défendre notre gloire,
Je te veux offrir mon cur.
SECOND MUSICIEN
Mais, bergère, puis-je croire Qu'il ne sera point trompeur?
MUSICIENNE
Voyez par expérience
Qui des deux aimera mieux.
SECOND MUSICIEN
Qui manquera de constance, Le puissent perdre les Dieux!
TOUS TROIS
À des ardeurs si belles Laissons-nous enflammer:
Ah! qu'il est doux d'aimer, Quand deux cours sont fidèles!
MONSIEUR JOURDAIN: Est-ce tout?
MAÎTRE DE MUSIQUE: Oui.
MONSIEUR JOURDAIN: Je trouve cela bien troussé, et il y a
là dedans de petits dictons assez jolis.
MAÎTRE à DANSER: Voici, pour mon affaire, un petit essai
des plus beaux mouvements et des plus belles attitudes dont une
danse puisse être variée.
MONSIEUR JOURDAIN: Sont-ce encore des bergers?
MAÎTRE à DANSER: C'est ce qu'il vous plaira. Allons.
Quatre danseurs exécutent tous les mouvements différents et
toutes les sortes de pas que le Maître à danser leur
commande, et cette danse fait le premier intermède.
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