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Le Bourgeois Gentilhomme DORANTE, COVIELLE.
Scène V
DORANTE, COVIELLE.
COVIELLE: Ha, ha, ha. Ma foi! cela est tout à fait drôle. Quelle
dupe! Quand il aurait appris son rôle par cœur, il ne pourrait pas
le mieux jouer. Ah, ah. Je vous prie, Monsieur, de nous vouloir aider
céans, dans une affaire qui s'y passe.
DORANTE: Ah, ah, Covielle,
qui t'aurait reconnu? Comme te voilà ajusté!
COVIELLE: Vous
voyez. Ah, ah.
DORANTE: De quoi ris-tu?
COVIELLE: D'une chose,
Monsieur, qui le mérite bien.
DORANTE: Comment?
COVIELLE:
Je vous le donnerais en bien des fois, Monsieur, à deviner, le
stratagème dont nous nous servons auprès de Monsieur Jourdain, pour
porter son esprit à donner sa fille à mon maître.
DORANTE: Je ne devine point le stratagème; mais je devine qu'il ne
manquera pas de faire son effet, puisque tu l'entreprends.
COVIELLE:
Je sais, Monsieur, que la bête vous est connue.
DORANTE:
Apprends-moi ce que c'est.
COVIELLE: Prenez la peine de vous tirer un
peu plus loin, pour faire place à ce que j'aperçois venir. Vous
pourrez voir une partie de l'histoire, tandis que je vous conterai le reste.
Six Turcs dansant entre eux gravement deux à deux, au son de tous
les instruments. Ils portent trois tapis fort longs, dont ils font plusieurs
figures, et, à la fin de cette première cérémonie, ils
les lèvent fort haut; les Turcs musiciens, et autres joueurs
d'instruments, passent par dessous; quatre Derviches qui accompagnent le
Mufti ferment cette marche.
Alors les Turcs étendent les tapis par terre, et se mettent
dessus à genoux; le Mufti est debout au milieu, qui fait une
invocation avec des contorsions et des grimaces, levant le
menton, et remuant les mains contre sa tête, comme si
c'était des ailes. Les Turcs se prosternent jusqu'à terre,
chantant Alli, puis se relèvent, chantant Alla, et continuant
alternativement jusqu'à la fin de l'invocation; puis ils se
lèvent tous, chantant Alla ekber.
Alors les Derviches amènent devant le Mufti le Bourgeois
vêtu à la turque, rasé, sans turban, sans sabre, auquel
il chante gravement ces paroles:
LE MUFTI
Se ti sabir, Ti respondir; Se non sabir, Tazir, tazir. |
Mi star Mufti: Ti qui star ti? Non intendir: Tazir, tazir.
Deux Derviches font retirer le Bourgeois. Le Mufti demande aux
Turcs de quelle religion est le Bourgeois, et chante:
Dice, Turque, qui star quista, Anabatista, anabatista?
LES TURCS répondent.
Ioc.
LE MUFTI
Zuinglista?
LES TURCS
Ioc.
LE MUFTI
Coffita?
LES TURCS
Ioc.
LE MUFTI
Hussita? Morista? Fronista?
LES TURCS
Ioc. Ioc. Ioc.
LE MUFTI répète.
Ioc. Ioc. Ioc.
Star pagana?
LES TURCS
Ioc.
LE MUFTI
Luterana?
LES TURCS
Ioc.
LE MUFTI
Puritana?
LES TURCS
Ioc.
LE MUFTI
Bramina? Moffina? Zurina?
LES TURCS
Ioc. Ioc. Ioc.
LE MUFTI répète.
Ioc. Ioc. Ioc.
Mahametana, Mahametana?
LES TURCS
Hey valla. Hey valla.
LE MUFTI
Como chamara? Como chamara?
LES TURCS
Giourdina, Giourdina.
LE MUFTI
Giourdina.
LE MUFTI sautant et regardant de côté et d'autre.
Giourdina? Giourdina? Giourdina?
LES TURCS répètent.
Giourdina! Giourdina! Giourdina!
LE MUFTI
Mahameta per Giourdina Mi pregar sera e matina Voler far un Paladina
De Giourdina, de Giourdina. Dar turbanta, e dar scarcina
Con galera e brigantina Per deffender Palestina.
Mahameta per Giourdina, etc.
Après quoi, le Mufti demande aux Turcs si le Bourgeois est
ferme dans la religion mahométane, et leur chante ces paroles:
LE MUFTI
Star bon Turca Giourdina? Bis.
LES TURCS
Hey valla. Hey valla. Bis.
LE MUFTI chante et danse.
Hu la ba ba la chou ba la ba ba la da.
Après que le Mufti s'est retiré, les Turcs dansent, et
répètent ces mêmes paroles.
Hu la ba ba la chou ba la ba ba la da.
Le Mufti revient, avec son turban de cérémonie qui est
d'une grosseur démesurée, garni de bougies allumées,
à quatre ou cinq rangs.
Deux Derviches l'accompagnent, avec des bonnets pointus garnis
aussi de bougies allumées, portant l'Alcoran: les deux autres
Derviches amènent le Bourgeois, qui est tout épouvanté
de cette cérémonie, et le font mettre à genoux le dos
tourné au Mufti, puis, le faisant incliner jusques à mettre
ses mains par terre, ils lui mettent l'Alcoran sur le dos, et le
font servir de pupitre au Mufti, qui fait une invocation
burlesque, fronçant le sourcil, et ouvrant la bouche, sans
dire mot; puis parlant avec véhémence, tantôt
radoucissant sa voix, tantôt la poussant d'un enthousiasme
à faire trembler, en se poussant les côtes avec les mains,
comme pour faire sortir ses paroles frappant quelquefois les
mains sur l'Alcoran, et tournant les feuillets avec
précipitation, et finit enfin en levant les bras, et criant
à haute voix: Hou.
Pendant cette invocation, les Turcs assistants chantent Hou, hou,
hou, s'inclinant à trois reprises, puis se relèvent de
même à trois reprises, en chantant Hou, hou, hou, et
continuant alternativement pendant toute l'invocation du Mufti.
Après que l'invocation est finie, les Derviches ôtent
l'Alcoran de dessus le dos du Bourgeois, qui crie Ouf, parce
qu'il est las d'avoir été longtemps en cette posture, puis
ils le relèvent.
LE MUFTI s'adressant au Bourgeois.
Ti non star furba?
LES TURCS
No, no, no.
LE MUFTI
Non star forfanta?
LES TURCS
No, no, no.
LE MUFTI aux Turcs.
Donar turbanta. Donar turbanta. Et s'en va.
Les Turcs répètent tout ce que dit le Mufti, et donnent en
dansant et en chantant, le turban au Bourgeois.
LE MUFTI revient et donne le sabre au Bourgeois.
Ti star nobile, non star fabola. Pigliar schiabola.
Puis il se retire.
Les Turcs répètent les mêmes mots, mettant tous le sabre
à la main; et six d'entre eux dansent autour du Bourgeois
auquel ils feignent de donner plusieurs coups de sabre.
LE MUFTI revient, et
commande aux Turcs de bâtonner le Bourgeois, et chante ces paroles.
Dara, dara, bastonara, bastonara, bastonara. Puis il se retire. |
Les Turcs répètent les mêmes paroles, et donnent au
Bourgeois plusieurs coups de bâton en cadence.
LE MUFTI revient et chante.
Non tener honta:
Questa star l'ultima affronta.
Les Turcs répètent les mêmes vers.
Le Mufti, au son de tous les instruments, recommence une
invocation, appuyé sur ses Derviches: après toutes les
fatigues de cette cérémonie, les Derviches le soutiennent
par-dessous les bras avec respect, et tous les Turcs sautant
dansant et chantant autour du Mufti, se retirent au son de
plusieurs instruments à la turque.
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