Le Dépit Amoureux Le texte complet de la pièce de Molière : Le Dépit amoureux. Acte 1 Scène 2
St, Marinette! MARINETTE Oh! oh! que fais-tu là? GROS-RENÉ Ma foi, Demande, nous étions tout à l'heure sur toi. MARINETTE Vous êtes aussi là, Monsieur! Depuis une heure Vous m'avez fait trotter comme un Basque, ou je meure! ÉRASTE Comment? MARINETTE Pour vous chercher j'ai fait dix mille pas, Et vous promets, ma foi. ÉRASTE Quoi? MARINETTE Que vous n'êtes pas Au temple, au cours, chez vous, ni dans la grande place. GROS-RENÉ Il fallait en jurer. ÉRASTE Apprends-moi donc, de grâce, Qui te fait me chercher? MARINETTE Quelqu'un, en vérité, Qui pour vous n'a pas trop mauvaise volonté, Ma maîtresse, en un mot. ÉRASTE Ah! chère Marinette, Ton discours de son cœur est-il bien l'interprète? Ne me déguise point un mystère fatal; Je ne t'en voudrai pas pour cela plus de mal: Au nom des dieux, dis-moi si ta belle maîtresse N'abuse point mes vœux d'une fausse tendresse. MARINETTE Hé! hé! d'où vous vient donc ce plaisant mouvement? Elle ne fait pas voir assez son sentiment! Quel garant est-ce encor que votre amour demande? Que lui faut-il? GROS-RENÉ À moins que Valère se pende, Bagatelle! son cœur ne s'assurera point. MARINETTE Comment? GROS-RENÉ Il est jaloux jusques en un tel point. MARINETTE De Valère? Ah! vraiment la pensée est bien belle! Elle peut seulement naître en votre cervelle. Je vous croyais du sens, et jusqu'à ce moment J'avais de votre esprit quelque bon sentiment; Mais, à ce que je vois, je m'étais fort trompée. Ta tête de ce mal est-elle aussi frappée? GROS-RENÉ Moi, jaloux? Dieu m'en garde, et d'être assez badin Pour m'aller emmaigrir avec un tel chagrin! Outre que de ton cœur ta foi me cautionne, L'opinion que j'ai de moi-même est trop bonne Pour croire auprès de moi que quelqu'autre te plût. Où diantre pourrais-tu trouver qui me valût? MARINETTE En effet, tu dis bien, voilà comme il faut être: Jamais de ces soupçons qu'un jaloux fait paraître! Tout le fruit qu'on en cueille est de se mettre mal, Et d'avancer par là les desseins d'un rival: Au mérite souvent de qui l'éclat vous blesse Vos chagrins font ouvrir les yeux d'une maîtresse; Et j'en sais tel qui doit son destin le plus doux Aux soins trop inquiets de son rival jaloux; Enfin, quoi qu'il en soit, témoigner de l'ombrage, C'est jouer en amour un mauvais personnage, Et se rendre, après tout, misérable à crédit: Cela, seigneur Éraste, en passant vous soit dit. ÉRASTE Eh bien! n'en parlons plus. Que venais-tu m'apprendre? MARINETTE Vous mériteriez bien que l'on vous fît attendre, Qu'afin de vous punir je vous tinsse caché Le grand secret pourquoi je vous ai tant cherché. Tenez, voyez ce mot, et sortez hors de doute: Lisez-le donc tout haut, personne ici n'écoute. ÉRASTE lit. "Vous m'avez dit que votre amour Était capable de tout faire: Il se couronnera lui-même dans ce jour, S'il peut avoir l'aveu d'un père. Faites parler les droits qu'on a dessus mon cœur; Je vous en donne la licence; Et si c'est en votre faveur, Je vous réponds de mon obéissance." Ah! quel bonheur! Ô toi, qui me l'as apporté, Je te dois regarder comme une déité. GROS-RENÉ Je vous le disais bien: contre votre croyance, Je ne me trompe guère aux choses que je pense. ÉRASTE relit. "Faites parler les droits qu'on a dessus mon cœur; Je vous en donne la licence; Et si c'est en votre faveur, Je vous réponds de mon obéissance." MARINETTE Si je lui rapportais vos faiblesses d'esprit, Elle désavouerait bientôt un tel écrit. ÉRASTE Ah! cache-lui, de grâce, une peur passagère, Où mon âme a cru voir quelque peu de lumière; Ou si tu la lui dis, ajoute que ma mort Est prête d'expier l'erreur de ce transport, Que je vais à ses pieds, si j'ai pu lui déplaire, Sacrifier ma vie à sa juste colère. MARINETTE Ne parlons point de mort, ce n'en est pas le temps. ÉRASTE Au reste, je te dois beaucoup, et je prétends Reconnaître dans peu, de la bonne manière, Les soins d'une si noble et si belle courrière. MARINETTE À propos, savez-vous où je vous ai cherché Tantôt encore? ÉRASTE Hé bien? MARINETTE Tout proche du marché, Où vous savez. ÉRASTE Où donc? MARINETTE Là, dans cette boutique Où, dès le mois passé, votre cœur magnifique Me promit, de sa grâce, une bague. ÉRASTE Ah! j'entends. GROS-RENÉ La matoise! ÉRASTE Il est vrai, j'ai tardé trop longtemps À m'acquitter vers toi d'une telle promesse, Mais. MARINETTE Ce que j'en ai dit, n'est pas que je vous presse. GROS-RENÉ Oh! que non! ÉRASTE lui donne sa bague. Celle-ci peut-être aura de quoi Te plaire: accepte-la pour celle que je doi. MARINETTE Monsieur, vous vous moquez; j'aurais honte à la prendre. GROS-RENÉ Pauvre honteuse, prends, sans davantage attendre: Refuser ce qu'on donne est bon à faire aux fous. MARINETTE Ce sera pour garder quelque chose de vous. ÉRASTE Quand puis-je rendre grâce à cet ange adorable? MARINETTE Travaillez à vous rendre un père favorable. ÉRASTE Mais s'il me rebutait, dois-je. MARINETTE Alors comme alors! Pour vous on emploiera toutes sortes d'efforts; D'une façon ou d'autre, il faut qu'elle soit vôtre: Faites votre pouvoir, et nous ferons le nôtre. ÉRASTE Adieu: nous en saurons le succès dans ce jour. MARINETTE Et nous, que dirons-nous aussi de notre amour? Tu ne m'en parles point. GROS-RENÉ Un hymen qu'on souhaite, Entre gens comme nous, est chose bientôt faite: Je te veux; me veux-tu de même? MARINETTE Avec plaisir. GROS-RENÉ Touche, il suffit. MARINETTE Adieu, Gros-René, mon désir. GROS-RENÉ Adieu, mon astre. MARINETTE Adieu, beau tison de ma flamme. GROS-RENÉ Adieu, chère comète, arc-en-ciel de mon âme. Le bon Dieu soit loué! nos affaires vont bien: Albert n'est pas un homme à vous refuser rien. ÉRASTE Valère vient à nous. GROS-RENÉ Je plains le pauvre hère, Sachant ce qui se passe.
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