Le Dépit Amoureux Le texte complet de la pièce de Molière : Le Dépit amoureux. Acte 5 Scène 3
Monsieur, de bonne part je viens d'être informé Qu'Éraste est contre vous fortement animé, Et qu'Albert parle aussi de faire pour sa fille Rouer jambes et bras à votre Mascarille. MASCARILLE Moi, je ne suis pour rien dans tout cet embarras. Qu'ai-je fait pour me voir rouer jambes et bras? Suis-je donc gardien, pour employer ce style, De la virginité des filles de la ville? Sur la tentation ai-je quelque crédit? Et puis-je mais, chétif, si le cœur leur en dit? VALÈRE Oh! qu'ils ne seront pas si méchants qu'ils le disent! Et quelque belle ardeur que ses feux lui produisent, Éraste n'aura pas si bon marché de nous. LA RAPIÈRE S'il vous faisait besoin, mon bras est tout à vous: Vous savez de tout temps que je suis un bon frère. VALÈRE Je vous suis obligé, Monsieur de La Lapière. LA RAPIÈRE J'ai deux amis encore que je vous puis donner, Qui contre tous venants sont gens à dégainer, Et sur qui vous pourrez prendre toute assurance. MASCARILLE Acceptez-les, Monsieur. VALÈRE C'est trop de complaisance. LA RAPIÈRE Le petit Gille encore eût pu nous assister, Sans le triste accident qui vient de nous l'ôter. Monsieur, le grand dommage! Et l'homme de service! Vous avez su le tour que lui fit la justice: Il mourut en César, et lui cassant les os, Le bourreau ne lui put faire lâcher deux mots. VALÈRE Monsieur de La Lapière, un homme de la sorte Doit être regretté. Mais quant à votre escorte, Je vous rends grâce. LA RAPIÈRE Soit; mais soyez averti Qu'il vous cherche, et vous peut faire un mauvais parti. VALÈRE Et moi, pour vous montrer combien je l'appréhende, Je lui veux, s'il me cherche, offrir ce qu'il demande, Et par toute la ville aller présentement, Sans être accompagné que de lui seulement. MASCARILLE Quoi? Monsieur, vous voulez tenter Dieu? quelle audace! Las! vous voyez tous deux comme l'on nous menace, Combien de tous côtés. VALÈRE Que regardes-tu là? MASCARILLE C'est qu'il sent le bâton du côté que voilà. Enfin, si maintenant ma prudence en est crue, Ne nous obstinons point à rester dans la rue: Allons nous renfermer. VALÈRE Nous renfermer, faquin! Tu m'oses proposer un acte de coquin! Sus, sans plus de discours, résous-toi de me suivre. MASCARILLE Eh! Monsieur, mon cher maître, il est si doux de vivre! On ne meurt qu'une fois, et c'est pour si longtemps! VALÈRE Je m'en vais t'assommer de coups, si je t'entends. Ascagne vient ici, laissons-le: il faut attendre Quel parti de lui-même il résoudra de prendre. Cependant avec moi viens prendre à la maison Pour nous frotter. MASCARILLE Je n'ai nulle démangeaison. Que maudit soit l'amour, et les filles maudites Qui veulent en tâter, puis font les chattemites!
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