Le Dépit Amoureux

Le texte complet de la pièce de Molière : Le Dépit amoureux. Acte 5 Scène 8
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VALÈRE

Il ne le fera pas,
Quand il joindrait au sien encor vingt autres bras.
Je le plains de défendre une sœur criminelle;
Mais puisque son erreur me veut faire querelle,
Nous le satisferons, et vous, mon brave, aussi.

ÉRASTE

Je prenais intérêt tantôt à tout ceci;
Mais enfin, comme Ascagne a pris sur lui l'affaire,
Je ne m'en mêle plus, et je le laisse faire.

VALÈRE

C'est bien fait, la prudence est toujours de saison;
Mais...

ÉRASTE

Il saura pour tous vous mettre à la raison.

VALÈRE

Lui?

POLYDORE

Ne t'y trompe pas; tu ne sais pas encore
Quel étrange garçon est Ascagne.

ALBERT

Il l'ignore.
Mais il pourra dans peu le lui faire savoir.

VALÈRE

Sus donc! Que maintenant il me le fasse voir.

MARINETTE

Aux yeux de tous?

GROS-RENÉ

Cela ne serait pas honnête.

VALÈRE

Se moque-t-on de moi? Je casserai la tête
À quelqu'un des rieurs. Enfin voyons l'effet.

ASCAGNE

Non, non, je ne suis pas si méchant qu'on me fait;
Et dans cette aventure où chacun m'intéresse,
Vous allez voir plutôt éclater ma faiblesse,
Connaître que le Ciel, qui dispose de nous,
Ne me fit pas un cour pour tenir contre vous,
Et qu'il vous réservait, pour victoire facile,
De finir le destin du frère de Lucile.
Oui, bien loin de vanter le pouvoir de mon bras,
Ascagne va par vous recevoir le trépas;
Mais il veut bien mourir, si sa mort nécessaire
Peut avoir maintenant de quoi vous satisfaire,
En vous donnant pour femme, en présence de tous,
Celle qui justement ne peut être qu'à vous.

VALÈRE

Non, quand toute la terre, après sa perfidie
Et les traits effrontés.

ASCAGNE

Ah! souffrez que je die,
Valère, que le cœur qui vous est engagé
D'aucun crime envers vous ne peut être chargé:
Sa flamme est toujours pure et sa constance extrême,
Et j'en prends à témoin votre père lui-même.

POLYDORE

Oui, mon fils, c'est assez rire de ta fureur,
Et je vois qu'il est temps de te tirer d'erreur.
Celle à qui par serment ton âme est attachée
Sous l'habit que tu vois à tes yeux est cachée;
Un intérêt de bien, dès ses plus jeunes ans,
Fit ce déguisement qui trompe tant de gens;
Et depuis peu l'amour en a su faire un autre,
Qui t'abusa, joignant leur famille à la nôtre.
Ne va point regarder à tout le monde aux yeux:
Je te fais maintenant un discours sérieux.
Oui, c'est elle, en un mot, dont l'adresse subtile,
La nuit, reçut ta foi sous le nom de Lucile,
Et qui par ce ressort, qu'on ne comprenait pas,
A semé parmi vous un si grand embarras.
Mais, puisqu'Ascagne ici fait place à Dorothée,
Il faut voir de vos feux toute imposture ôtée,
Et qu'un nœud plus sacré donne force au premier.

ALBERT

Et c'est là justement ce combat singulier
Qui devait envers nous réparer votre offense,
Et pour qui les édits n'ont point fait de défense.

POLYDORE

Un tel événement rend tes esprits confus;
Mais en vain tu voudrais balancer là-dessus.

VALÈRE

Non, non, je ne veux pas songer à m'en défendre;
Et si cette aventure a lieu de me surprendre,
La surprise me flatte, et je me sens saisir
De merveille à la fois, d'amour et de plaisir.
Se peut-il que ces yeux.?

ALBERT

Cet habit, cher Valère,
Souffre mal les discours que vous lui pourriez faire.
Allons lui faire en prendre un autre; et cependant
Vous saurez le détail de tout cet incident.

VALÈRE

Vous, Lucile, pardon, si mon âme abusée.

LUCILE

L'oubli de cette injure est une chose aisée.

ALBERT

Allons, ce compliment se fera bien chez nous,
Et nous aurons loisir de nous en faire tous.

ÉRASTE

Mais vous ne songez pas, en tenant ce langage,
Qu'il reste encor ici des sujets de carnage:
Voilà bien à tous deux notre amour couronné;
Mais de son Mascarille et de mon Gros-René,
Par qui doit Marinette être ici possédée?
Il faut que par le sang l'affaire soit vidée.

MASCARILLE

Nenni, nenni: mon sang dans mon corps sied trop bien.
Qu'il l'épouse en repos, cela ne me fait rien:
De l'humeur que je sais la chère Marinette,
L'hymen ne ferme pas la porte à la fleurette.

MARINETTE

Et tu crois que de toi je ferais mon galant?
Un mari, passe encor: tel qu'il est, on le prend;
On n'y va pas chercher tant de cérémonie.
Mais il faut qu'un galant soit fait à faire envie.

GROS-RENÉ

Ecoute: quand l'hymen aura joint nos deux peaux,
Je prétends qu'on soit sourde à tous les damoiseaux.

MASCARILLE

Tu crois te marier pour toi tout seul, compère?

GROS-RENÉ

Bien entendu: je veux une femme sévère,
Ou je ferai beau bruit.

MASCARILLE

Eh! mon Dieu! tu feras
Comme les autres font, et tu t'adouciras.
Ces gens, avant l'hymen, si fâcheux et critiques,
Dégénèrent souvent en maris pacifiques.

MARINETTE

Va, va, petit mari, ne crains rien de ma foi:
Les douceurs ne feront que blanchir contre moi,
Et je te dirai tout.

MASCARILLE

Oh la fine pratique!
Un mari confident!

MARINETTE

Taisez-vous, as de pique.

ALBERT

Pour la troisième fois, allons-nous-en chez nous
Poursuivre en liberté des entretiens si doux.
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