Dom Garcie de Navarre Le texte de la Scène 3 Acte 5 de la pièce de Molière : Dom Garcie de Navarre, ou le Prince jaloux
DOM GARCIE Madame, avec quel front faut-il que je m'avance, Quand je viens vous offrir l'odieuse présence ? DONE ELVIRE Prince, ne parlons plus de mon ressentiment: Votre sort dans mon âme a fait du changement, Et par le triste état où sa rigueur vous jette Ma colère est éteinte, et notre paix est faite. Oui, bien que votre amour ait mérité les coups Que fait sur lui du Ciel éclater le courroux, Bien que ses noirs soupçons aient offensé ma gloire Par des indignités qu'on aurait peine à croire, J'avouerai toutefois que je plains son malheur Jusqu'à voir nos succès avec quelque douleur, Que je hais les faveurs de ce fameux service Lorsqu'on veut de mon cœur lui faire un sacrifice, Et voudrais bien pouvoir racheter les moments Où le sort contre vous n'armait que mes serments. Mais enfin vous savez comme nos destinées Aux intérêts publics sont toujours enchaînées, Et que l'ordre des Cieux, pour disposer de moi, Dans mon frère qui vient me va montrer mon roi. Cédez comme moi, Prince, à cette violence Où la grandeur soumet celles de ma naissance; Et si de votre amour les déplaisirs sont grands, Qu'il se fasse un secours de la part que j'y prends, Et ne se serve point contre un coup qui l'étonne Du pouvoir qu'en ces lieux votre valeur vous donne: Ce vous serait sans doute un indigne transport De vouloir dans vos maux lutter contre le sort; Et lorsque c'est en vain qu'on s'oppose à sa rage, La soumission prompte est grandeur de courage. Ne résistez donc point à ses coups éclatants, Ouvrez les murs d'Astorgue au frère que j'attends, Laissez-moi rendre aux droits qu'il peut sur moi prétendre Ce que mon triste cœur a résolu de rendre; Et ce fatal hommage, où mes vœux sont forcés, Peut-être n'ira pas si loin que vous pensez. DOM GARCIE C'est faire voir, Madame, une bonté trop rare, Que vouloir adoucir le coup qu'on me prépare: Sur moi sans de tels soins vous pouvez laisser choir Le foudre rigoureux de tout votre devoir. En l'état où je suis je n'ai rien à vous dire: J'ai mérité du sort tout ce qu'il a de pire; Et je sais, quelques maux qu'il me faille endurer, Que je me suis ôté le droit d'en murmurer. Par où pourrais-je, hélas! dans ma vaste disgrâce, Vers vous de quelque plainte autoriser l'audace? Mon amour s'est rendu mille fois odieux; Il n'a fait qu'outrager vos attraits glorieux; Et lorsque par un juste et fameux sacrifice Mon bras à votre sang cherche à rendre un service, Mon astre m'abandonne au déplaisir fatal De me voir prévenu par le bras d'un rival. Madame, après cela je n'ai rien à prétendre, Je suis digne du coup que l'on me fait attendre, Et je le vois venir sans oser contre lui Tenter de votre cœur le favorable appui. Ce qui peut me rester dans mon malheur extrême, C'est de chercher alors mon remède en moi-même, Et faire que ma mort, propice à mes désirs, Affranchisse mon cœur de tous ses déplaisirs. Oui, bientôt dans ces lieux Dom Alphonse doit être, Et déjà mon rival commence de paraître; De Léon vers ces murs il semble avoir volé, Pour recevoir le prix du tyran immolé. Ne craignez point du tout qu'aucune résistance Fasse valoir ici ce que j'ai de puissance: Il n'est effort humain que pour vous conserver, Si vous y consentiez, je ne pusse braver; Mais ce n'est pas à moi, dont on hait la mémoire, À pouvoir espérer cet aveu plein de gloire; Et je ne voudrais pas, par des efforts trop vains, Jeter le moindre obstacle à vos justes desseins. Non, je ne contrains point vos sentiments, Madame: Je vais en liberté laisser toute votre âme, Ouvrir les murs d'Astorgue à cet heureux vainqueur, Et subir de mon sort la dernière rigueur.
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