L'École des Maris Le texte de la Scène 7 Acte 2 de la pièce de Molière : L’école des maris
SGANARELLE Jamais amant n'a fait tant de trouble éclater, Au poulet renvoyé sans Le décacheter: Il perd toute espérance enfin, et se retire. Mais il m'a tendrement conjuré de te dire Que du moins en t'aimant il n'a jamais pensé À rien dont ton honneur ait lieu d'être offensé, Et que, ne dépendant que du choix de son âme, Tous ses désirs étaient de t'obtenir pour femme, Si les destins, en moi, qui captive ton cœur, N'opposaient un obstacle à cette juste ardeur; Que, quoi qu'on puisse faire, il ne te faut pas croire Que jamais tes appas sortent de sa mémoire; Que, quelque arrêt des Cieux qu'il lui faille subir, Son sort est de t'aimer jusqu'au dernier soupir; Et que si quelque chose étouffe sa poursuite, C'est le juste respect qu'il a pour mon mérite. Ce sont ses propres mots; et loin de le blâmer, Je le trouve honnête homme, et le plains de t'aimer. ISABELLE, bas. Ses feux ne trompent point ma secrète croyance, Et toujours ses regards m'en ont dit l'innocence. SGANARELLE Que dis-tu? ISABELLE Qu'il m'est dur que vous plaigniez si fort Un homme que je hais à l'égal de la mort; Et que si vous m'aimiez autant que vous le dites, Vous sentiriez l'affront que me font ses poursuites. SGANARELLE Mais il ne savait pas tes inclinations; Et par l'honnêteté de ses intentions Son amour ne mérite. ISABELLE Est-ce les avoir bonnes, Dites-moi, de vouloir enlever les personnes? Est-ce être homme d'honneur de former des desseins Pour m'épouser de force en m'ôtant de vos mains? Comme si j'étais fille à supporter la vie Après qu'on m'aurait fait une telle infamie. SGANARELLE Comment? ISABELLE Oui, oui: j'ai su que ce traître d'amant Parle de m'obtenir par un enlèvement; Et j'ignore pour moi les pratiques secrètes Qui l'ont instruit sitôt du dessein que vous faites De me donner la main dans huit jours au plus tard, Puisque ce n'est que d'hier que vous m'en fîtes part; Mais il veut prévenir, dit-on, cette journée Qui doit à votre sort unir ma destinée. SGANARELLE Voilà qui ne vaut rien. ISABELLE Oh! que pardonnez-moi! C'est un fort honnête homme, et qui ne sent pour moi. SGANARELLE Il a tort, et ceci passe la raillerie. ISABELLE Allez, votre douceur entretient sa folie. S'il vous eût vu tantôt lui parler vertement, Il craindrait vos transports et mon ressentiment; Car c'est encor depuis sa lettre méprisée Qu'il a dit ce dessein qui m'a scandalisée; Et son amour conserve, ainsi que je l'ai su, La croyance qu'il est dans mon cœur bien reçu, Que je fuis votre hymen, quoi que le monde en croie, Et me verrais tirer de vos mains avec joie. SGANARELLE Il est fou. ISABELLE Devant vous il sait se déguiser, Et son intention est de vous amuser. Croyez par ces beaux mots que le traître vous joue. Je suis bien malheureuse, il faut que je l'avoue, Qu'avecque tous mes soins pour vivre dans l'honneur Et rebuter les vœux d'un lâche suborneur, Il faille être exposée aux fâcheuses surprises De voir faire sur moi d'infâmes entreprises! SGANARELLE Va, ne redoute rien. ISABELLE Pour moi, je vous le di, Si vous n'éclatez fort contre un trait si hardi, Et ne trouvez bientôt moyen de me défaire Des persécutions d'un pareil téméraire, J'abandonnerai tout, et renonce à l'ennui De souffrir les affronts que je reçois de lui. SGANARELLE Ne t'afflige point tant; va, ma petite femme, Je m'en vais le trouver et lui chanter sa gamme. ISABELLE Dites-lui bien au moins qu'il le nierait en vain, Que c'est de bonne part qu'on m'a dit son dessein, Et qu'après cet avis, quoi qu'il puisse entreprendre, J'ose le défier de me pouvoir surprendre, Enfin que sans plus perdre et soupirs et moments, Il doit savoir pour vous quels sont mes sentiments, Et que si d'un malheur il ne veut être cause, Il ne se fasse pas deux fois dire une chose. SGANARELLE Je dirai ce qu'il faut. ISABELLE Mais tout cela d'un ton Qui marque que mon cœur lui parle tout de bon. SGANARELLE Va, je n'oublierai rien, je t'en donne assurance. ISABELLE J'attends votre retour avec impatience. Hâtez-le, s'il vous plaît, de tout votre pouvoir: Je languis quand je suis un moment sans vous voir. SGANARELLE Va, pouponne, mon cœur, je reviens tout à l'heure. Est-il une personne et plus sage et meilleure? Ah! que je suis heureux! et que j'ai de plaisir De trouver une femme au gré de mon désir. Oui, voilà comme il faut que les femmes soient faites, Et non comme j'en sais, de ces franches coquettes, Qui s'en laissent conter, et font dans tout Paris Montrer au bout du doigt leurs honnêtes maris. Holà! notre galant aux belles entreprises!
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