L'Étourdi

Le texte complet de la pièce de Molière : L’Étourdi, ou le Contre-Temps. Acte 1 Scène 2
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LÉLIE

Ah! Mascarille.

MASCARILLE

Quoi?

LÉLIE

Voici bien des affaires;
J'ai dans ma passion toutes choses contraires:
Léandre aime Célie, et par un trait fatal,
Malgré mon changement, est encor mon rival.

MASCARILLE

Léandre aime Célie!

LÉLIE

Il l'adore, te dis-je.

MASCARILLE

Tant pis.

LÉLIE

Hé! oui, tant pis, c'est là ce qui m'afflige.
Toutefois j'aurais tort de me désespérer;
Puisque j'ai ton secours, je dois me rassurer:
Je sais que ton esprit, en intrigues fertile,
N'a jamais rien trouvé qui lui fût difficile,
Qu'on te peut appeler le roi des serviteurs,
Et qu'en toute la terre.

MASCARILLE

Hé! trêve de douceurs.
Quand nous faisons besoin, nous autres misérables,
Nous sommes les chéris et les incomparables;
Et dans un autre temps, dès le moindre courroux,
Nous sommes les coquins, qu'il faut rouer de coups.

LÉLIE

Ma foi, tu me fais tort avec cette invective.
Mais enfin discourons de l'aimable captive;
Dis si les plus cruels et plus durs sentiments
Ont rien d'impénétrable à des traits si charmants:
Pour moi, dans ses discours, comme dans son visage,
Je vois pour sa naissance un noble témoignage,
Et je crois que le Ciel dedans un rang si bas
Cache son origine, et ne l'en tire pas.

MASCARILLE

Vous êtes romanesque avecque vos chimères.
Mais que fera Pandolfe en toutes ces affaires?
C'est, Monsieur, votre père, au moins à ce qu'il dit.
Vous savez que sa bile assez souvent s'aigrit,
Qu'il peste contre vous d'une belle manière,
Quand vos déportements lui blessent la visière.
Il est avec Anselme en parole pour vous
Que de son Hippolyte on vous fera l'époux,
S'imaginant que c'est dans le seul mariage
Qu'il pourra rencontrer de quoi vous faire sage.
Et s'il vient à savoir que, rebutant son choix,
D'un objet inconnu vous recevez les lois,
Que de ce fol amour la fatale puissance
Vous soustrait au devoir de votre obéissance,
Dieu sait quelle tempête alors éclatera,
Et de quels beaux sermons on vous régalera.

LÉLIE

Ah! Trêve, je vous prie, à votre rhétorique.

MASCARILLE

Mais vous, trêve plutôt à votre politique:
Elle n'est pas fort bonne, et vous devriez tâcher.

LÉLIE

Sais-tu qu'on n'acquiert rien de bon à me fâcher,
Que chez moi les avis ont de tristes salaires,
Qu'un valet conseiller y fait mal ses affaires?

MASCARILLE

Il se met en courroux! Tout ce que j'en ai dit
N'était rien que pour rire et vous sonder l'esprit:
D'un censeur de plaisirs ai-je fort l'encolure,
Et Mascarille est-il ennemi de nature?
Vous savez le contraire, et qu'il est très certain
Qu'on ne peut me taxer que d'être trop humain.
Moquez-vous des sermons d'un vieux barbon de père,
Poussez votre bidet, vous dis-je, et laissez faire.
Ma foi, j'en suis d'avis, que ces penards chagrins
Nous viennent étourdir de leurs contes badins,
Et vertueux par force, espèrent par envie
Oter aux jeunes gens les plaisirs de la vie!
Vous savez mon talent: je m'offre à vous servir.

LÉLIE

Ah! c'est par ces discours que tu peux me ravir.
Au reste, mon amour, quand je l'ai fait paraître,
N'a point été mal vu des yeux qui l'ont fait naître;
Mais Léandre à l'instant vient de me déclarer
Qu'à me ravir Célie il se va préparer.
C'est pourquoi dépêchons, et cherche dans ta tête
Les moyens les plus prompts d'en faire ma conquête;
Trouve ruses, détours, fourbes, inventions,
Pour frustrer mon rival de ses prétentions.

MASCARILLE

Laissez-moi quelque temps rêver à cette affaire.
Que pourrais-je inventer pour ce coup nécessaire?

LÉLIE

Hé bien! le stratagème?

MASCARILLE

Ah! comme vous courez!
Ma cervelle toujours marche à pas mesurés.
J'ai trouvé votre fait: il faut. Non, je m'abuse.
Mais si vous alliez.

LÉLIE

Où?

MASCARILLE

C'est une faible ruse.
J'en songeais une.

LÉLIE

Et quelle?

MASCARILLE

Elle n'irait pas bien.
Mais ne pourriez-vous pas.?

LÉLIE

Quoi?

MASCARILLE

Vous ne pourriez rien.
Parlez avec Anselme.

LÉLIE

Et que lui puis-je dire?

MASCARILLE

Il est vrai, c'est tomber d'un mal dedans un pire.
Il faut pourtant l'avoir. Allez chez Trufaldin.

LÉLIE

Que faire?

MASCARILLE

Je ne sais.

LÉLIE

C'en est trop, à la fin;
Et tu me mets à bout par ces contes frivoles.

MASCARILLE

Monsieur, si vous aviez en main force pistoles,
Nous n'aurions pas besoin maintenant de rêver
À chercher les biais que nous devons trouver,
Et pourrions, par un prompt achat de cette esclave,
Empêcher qu'un rival vous prévienne et vous brave.
De ces égyptiens qui la mirent ici
Trufaldin, qui la garde, est en quelque souci;
Et trouvant son argent, qu'ils lui font trop attendre,
Je sais bien qu'il serait très ravi de la vendre;
Car enfin en vrai ladre il a toujours vécu:
Il se ferait fesser pour moins d'un quart d'écu,
Et l'argent est le dieu que sur tout il révère;
Mais le mal, c'est.

LÉLIE

Quoi? c'est?

MASCARILLE

Que Monsieur votre père
Est un autre vilain qui ne vous laisse pas,
Comme vous voudriez bien, manier ses ducats;
Qu'il n'est point de ressort qui pour votre ressource
Pût faire maintenant ouvrir la moindre bourse.
Mais tâchons de parler à Célie un moment,
Pour savoir là-dessus quel est son sentiment.
Sa fenêtre est ici.

LÉLIE

Mais Trufaldin pour elle
Fait de nuit et de jour exacte sentinelle:
Prends garde.

MASCARILLE

Dans ce coin demeurez en repos.
Oh bonheur! la voilà qui sort tout à propos.
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