L'Étourdi Le texte complet de la pièce de Molière : L’Étourdi, ou le Contre-Temps. Acte 2 Scène 7
Que vois-je? mon rival et Trufaldin ensemble! Il achète Célie! ah! de frayeur je tremble. MASCARILLE Il ne faut point douter qu'il fera ce qu'il peut, Et s'il a de l'argent, qu'il pourra ce qu'il veut. Pour moi, j'en suis ravi: voilà la récompense De vos brusques erreurs, de votre impatience. LÉLIE Que dois-je faire? dis, veuille me conseiller. MASCARILLE Je ne sais. LÉLIE Laisse-moi, je vais le quereller. MASCARILLE Qu'en arrivera-t-il? LÉLIE Que veux-tu que je fasse Pour empêcher ce coup? MASCARILLE Allez, je vous fais grâce; Je jette encore un œil pitoyable sur vous: Laissez-moi l'observer; par des moyens plus doux Je vais, comme je crois, savoir ce qu'il projette. TRUFALDIN Quand on viendra tantôt, c'est une affaire faite. MASCARILLE Il faut que je l'attrape, et que de ses desseins Je sois le confident, pour mieux les rendre vains. LÉANDRE Grâces au Ciel, voilà mon bonheur hors d'atteinte, J'ai su me l'assurer, et je n'ai plus de crainte: Quoi que désormais puisse entreprendre un rival, Il n'est plus en pouvoir de me faire du mal. MASCARILLE Ahi! ahi! à l'aide! au meurtre! au secours! on m'assomme! Ah! ah! ah! ah! ah! ah! Ô traître! Ô bourreau d'homme! LÉANDRE D'où procède cela? qu'est-ce? que te fait-on? MASCARILLE On vient de me donner deux cents coups de bâton. LÉANDRE Qui? MASCARILLE Lélie. LÉANDRE Et pourquoi? MASCARILLE Pour une bagatelle, Il me chasse et me bat d'une façon cruelle. LÉANDRE Ah! vraiment il a tort. MASCARILLE Mais, ou je ne pourrai, Ou je jure bien fort que je m'en vengerai; Oui, je te ferai voir, batteur que Dieu confonde! Que ce n'est pas pour rien qu'il faut rouer le monde, Que je suis un valet, mais fort homme d'honneur, Et qu'après m'avoir eu quatre ans pour serviteur, Il ne me fallait pas payer en coups de gaules, Et me faire un affront si sensible aux épaules; Je te le dis encor, je saurai m'en venger: Une esclave te plaît, tu voulais m'engager À la mettre en tes mains, et je veux faire en sorte Qu'un autre te l'enlève, ou le diable m'emporte! LÉANDRE Écoute, Mascarille, et quitte ce transport: Tu m'as plu de tout temps, et je souhaitais fort Qu'un garçon comme toi, plein d'esprit et fidèle, À mon service un jour pût attacher son zèle: Enfin, si le parti te semble bon pour toi, Si tu veux me servir, je t'arrête avec moi. MASCARILLE Oui, Monsieur; d'autant mieux que le destin propice M'offre à me bien venger en vous rendant service, Et que dans mes efforts pour vos contentements Je puis à mon brutal trouver des châtiments; De Célie, en un mot, par mon adresse extrême. LÉANDRE Mon amour s'est rendu cet office lui-même: Enflammé d'un objet qui n'a point de défaut, Je viens de l'acheter moins encor qu'il ne vaut. MASCARILLE Quoi? Célie est à vous? LÉANDRE Tu la verrais paraître, Si de mes actions j'étais tout à fait maître; Mais quoi? mon père l'est: comme il a volonté (Ainsi que je l'apprends d'un paquet apporté) De me déterminer à l'hymen d'Hippolyte, J'empêche qu'un rapport de tout ceci l'irrite. Donc avec Trufaldin, car je sors de chez lui, J'ai voulu tout exprès agir au nom d'autrui; Et l'achat fait, ma bague est la marque choisie Sur laquelle au premier il doit livrer Célie. Je songe auparavant à chercher les moyens D'ôter aux yeux de tous ce qui charme les miens, À trouver promptement un endroit favorable Où puisse être en secret cette captive aimable. MASCARILLE Hors de la ville un peu, je puis avec raison D'un vieux parent que j'ai vous offrir la maison: Là vous pourrez la mettre avec toute assurance, Et de cette action nul n'aura connaissance. LÉANDRE Oui, ma foi, tu me fais un plaisir souhaité; Tiens donc, et va pour moi prendre cette beauté: Dès que par Trufaldin ma bague sera vue, Aussitôt en tes mains elle sera rendue, Et dans cette maison tu me la conduiras Quand. Mais chut, Hippolyte est ici sur nos pas.
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