Les Fâcheux Le texte de la Scène 6 Acte 2 de la pièce de Molière : Les Fâcheux
DORANTE Ha! Marquis, que l'on voit de Fâcheux, tous les jours, Venir de nos plaisirs interrompre le cours! Tu me vois enragé d'une assez belle chasse, Qu'un fat. C'est un récit qu'il faut que je te fasse. ÉRASTE Je cherche ici quelqu'un, et ne puis m'arrêter. DORANTE, le retenant. Parbleu, chemin faisant, je te le veux conter. Nous étions une troupe assez bien assortie, Qui pour courir un cerf avions hier fait partie; Et nous fûmes coucher sur le pays exprès, C'est-à-dire, mon cher, en fin fond de forêts. Comme cet exercice est mon plaisir suprême, Je voulus, pour bien faire, aller au bois moi-même; Et nous conclûmes tous d'attacher nos efforts Sur un cerf qu'un chacun nous disait cerf dix-cors; Mais moi, mon jugement, sans qu'aux marques j'arrête, Fut qu'il n'était que cerf à sa seconde tête. Nous avions, comme il faut, séparé nos relais, Et déjeunions en hâte avec quelques œufs frais, Lorsqu'un franc campagnard, avec longue rapière, Montant superbement sa jument poulinière, Qu'il honorait du nom de sa bonne jument, S'en est venu nous faire un mauvais compliment, Nous présentant aussi, pour surcroît de colère, Un grand benêt de fils aussi sot que son père. Il s'est dit grand chasseur, et nous a priés tous Qu'il pût avoir le bien de courir avec nous. Dieu préserve, en chassant, toute sage personne D'un porteur de huchet qui mal à propos sonne, De ces gens qui, suivis de dix hourets galeux, Disent "ma meute" , et font les chasseurs merveilleux! Sa demande reçue et ses vertus prisées, Nous avons été tous frapper à nos brisées. À trois longueurs de trait, tayaut! voilà d'abord Le cerf donné aux chiens. J'appuie, et sonne fort. Mon cerf débuche, et passe une assez longue plaine, Et mes chiens après lui, mais si bien en haleine, Qu'on les aurait couverts tous d'un seul justaucorps. Il vient à la forêt. Nous lui donnons alors La vieille meute; et moi, je prends en diligence Mon cheval alezan. Tu l'as vu? ÉRASTE Non, je pense. DORANTE Comment? C'est un cheval aussi bon qu'il est beau, Et que ces jours passés j'achetai de Gaveau. Je te laisse à penser si sur cette matière Il voudrait me tromper, lui qui me considère: Aussi je m'en contente; et jamais, en effet, Il n'a vendu cheval ni meilleur ni mieux fait: Une tête de barbe, avec l'étoile nette; L'encolure d'un cygne, effilée et bien droite; Point d'épaules non plus qu'un lièvre; court-jointé, Et qui fait dans son port voir sa vivacité; Des pieds, morbleu! des pieds! le rein double (à vrai dire, J'ai trouvé le moyen, moi seul, de le réduire; Et sur lui, quoique aux yeux il montrât beau semblant, Petit-Jean de Gaveau ne montait qu'en tremblant), Une croupe en largeur à nulle autre pareille, Et des gigots, Dieu sait! Bref, c'est une merveille; Et j'en ai refusé cent pistoles, crois-moi, Au retour d'un cheval amené pour le Roi. Je monte donc dessus, et ma joie était pleine De voir filer de loin les coupeurs dans la plaine; Je pousse, et je me trouve en un fort à l'écart. À la queue de nos chiens, moi seul avec Drécar. Une heure là dedans notre cerf se fait battre. J'appuie alors mes chiens, et fais le diable à quatre; Enfin jamais chasseur ne se vit plus joyeux. Je le relance seul, et tout allait des mieux, Lorsque d'un jeune cerf s'accompagne le nôtre: Une part de mes chiens se sépare de l'autre, Et je les vois, Marquis, comme tu peux penser, Chasser tous avec crainte, et Finaut balancer. Il se rabat soudain, dont j'eus l'âme ravie; Il empaume la voie; et moi, je sonne et crie: "à Finaut! à Finaut!" J'en revois à plaisir Sur une taupinière, et résonne à loisir. Quelques chiens revenaient à moi, quand pour disgrâce Le jeune cerf, Marquis, à mon campagnard passe. Mon étourdi se met à sonner comme il faut, Et crie à pleine voix "tayaut! tayaut! tayaut!" Mes chiens me quittent tous, et vont à ma pécore; J'y pousse, et j'en revois dans le chemin encore; Mais à terre, mon cher, je n'eus pas jeté l'œil, Que je connus le change et sentis un grand deuil. J'ai beau lui faire voir toutes les différences Des pinces de mon cerf et de ses connaissances, Il me soutient toujours, en chasseur ignorant, Que c'est le cerf de meute; et par ce différend Il donne temps aux chiens d'aller loin. J'en enrage, Et pestant de bon cœur contre le personnage, Je pousse mon cheval et par haut et par bas, Qui pliait des gaulis aussi gros que les bras: Je ramène les chiens à ma première voie, Qui vont, en me donnant une excessive joie, Requérir notre cerf, comme s'ils l'eussent vu. Ils le relancent; mais ce coup est-il prévu? À te dire le vrai, cher Marquis, il m'assomme: Notre cerf relancé va passer à notre homme, Qui croyant faire un trait de chasseur fort vanté, D'un pistolet d'arçon qu'il avait apporté Lui donne justement au milieu de la tête, Et de fort loin me crie: "Ah! j'ai mis bas la bête!" A-t-on jamais parlé de pistolets, bon Dieu! Pour courre un cerf? Pour moi, venant dessus le lieu, J'ai trouvé l'action tellement hors d'usage, Que j'ai donné des deux à mon cheval, de rage, Et m'en suis revenu chez moi toujours courant, Sans vouloir dire un mot à ce sot ignorant. ÉRASTE Tu ne pouvais mieux faire, et ta prudence est rare; C'est ainsi des Fâcheux qu'il faut qu'on se sépare. Adieu. DORANTE Quand tu voudras, nous irons quelque part, Où nous ne craindrons point de chasseur campagnard. ÉRASTE Fort bien. Je crois qu'enfin je perdrai patience. Cherchons à m'excuser avecque diligence. BALLET DU SECOND ACTE PREMIÈRE ENTREE Des joueurs de boule l'arrêtent pour mesurer un coup dont ils sont en dispute. Il se défait d'eux avec peine, et leur laisse danser un pas composé de toutes les postures qui sont ordinaires à ce jeu. DEUXIÈME ENTREE De petits frondeurs les viennent interrompre, qui sont chassés ensuite TROISIÈME ENTREE par des savetiers et des savetières, leurs pères, et autres, qui sont aussi chassés à leur tour QUATRIÈME ENTREE par un jardinier qui danse seul, et se retire pour faire place au troisième acte.
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