Le Mariage Forcé Le texte de la Scène 9 de la pièce de Molière : Le Mariage Forcé
ALCIDAS, parlant toujours d'un ton doucereux: Monsieur, je suis votre serviteur très humble. SGANARELLE: Monsieur, je suis le vôtre de tout mon cœur. ALCIDAS: Mon père m'a dit, Monsieur, que vous vous étiez venu dégager de la parole que vous aviez donnée. SGANARELLE: Oui, Monsieur: c'est avec regret; mais... ALCIDAS: Oh! Monsieur, il n'y a pas de mal à cela. SGANARELLE: J'en suis fâché, je vous assure; et je souhaiterais. ALCIDAS: Cela n'est rien, vous dis-je. (Lui présentant deux épées.) Monsieur, prenez la peine de choisir de ces deux épées laquelle vous voulez. SGANARELLE: De ces deux épées? ALCIDAS: Oui, s'il vous plaît. SGANARELLE: à quoi bon? ALCIDAS: Monsieur, comme vous refusez d'épouser ma sœur après la parole donnée, je crois que vous ne trouverez pas mauvais le petit compliment que je viens vous faire. SGANARELLE: Comment? ALCIDAS: D'autres gens feraient plus de bruit, et s'emporteraient contre vous; mais nous sommes personnes à traiter les choses dans la douceur; et je viens vous dire civilement qu'il faut, si vous le trouvez bon, que nous nous coupions la gorge ensemble. SGANARELLE: Voilà un compliment fort mal tourné. ALCIDAS: Allons, Monsieur, choisissez, je vous prie. SGANARELLE: Je suis votre valet, je n'ai point de gorge à me couper. La vilaine façon de parler que voilà! ALCIDAS: Monsieur, il faut que cela soit, s'il vous plaît. SGANARELLE: Eh! Monsieur, rengainez ce compliment, je vous prie. ALCIDAS: Dépêchons vite, Monsieur: j'ai une petite affaire qui m'attend. SGANARELLE: Je ne veux point de cela, vous dis-je. ALCIDAS: Vous ne voulez pas vous battre? SGANARELLE: Nenni, ma foi. ALCIDAS: Tout de bon? SGANARELLE: Tout de bon. ALCIDAS, lui donnant des coups de bâton: Au moins, Monsieur, vous n'avez pas lieu de vous plaindre, et vous voyez que je fais les choses dans l'ordre. Vous nous manquez de parole, je me veux battre contre vous; vous refusez de vous battre, je vous donne des coups de bâton: tout cela est dans les formes; et vous êtes trop honnête homme pour ne pas approuver mon procédé. SGANARELLE: Quel diable d'homme est-ce ci? ALCIDAS lui présente encore deux épées: Allons, Monsieur, faites les choses galamment, et sans vous faire tirer l'oreille. SGANARELLE: Encore? ALCIDAS: Monsieur, je ne contrains personne; mais il faut que vous vous battiez, ou que vous épousiez ma sœur. SGANARELLE: Monsieur, je ne puis faire ni l'un ni l'autre, je vous assure. ALCIDAS: Assurément? SGANARELLE: Assurément. ALCIDAS lui donne des coups de bâton: Avec votre permission donc. SGANARELLE: Ah! ah! ah! ah! ALCIDAS: Monsieur, j'ai tous les regrets du monde d'être obligé d'en user ainsi avec vous; mais je ne cesserai point, s'il vous plaît, que vous n'ayez promis de vous battre, ou d'épouser ma sœur. Il lève son bâton. SGANARELLE: Hé bien! j'épouserai, j'épouserai. ALCIDAS: Ah! Monsieur, je suis ravi que vous vous mettiez à la raison, et que les choses se passent doucement. Car enfin, vous êtes l'homme du monde que j'estime le plus, je vous jure; et j'aurais été au désespoir que vous m'eussiez contraint à vous maltraiter. Je vais appeler mon père, pour lui dire que tout est d'accord.
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