La Princesse d'Élide Le texte de la première scène du quatrième acte de la pièce de Molière : La Princesse d’Élide
LA PRINCESSE: Prince, comme jusques ici nous avons fait paraître une conformité de sentiments, et que le Ciel a semblé mettre en nous mêmes attachements pour notre liberté, et même aversion pour l'amour, je suis bien aise de vous ouvrir mon cœur, et de vous faire confidence d'un changement dont vous serez surpris. J'ai toujours regardé l'hymen comme une chose affreuse, et j'avais fait serment d'abandonner plutôt la vie que de me résoudre jamais à perdre cette liberté pour qui j'avais des tendresses si grandes; mais enfin un moment a dissipé toutes ces résolutions. Le mérite d'un prince m'a frappé aujourd'hui les yeux; et mon âme tout d'un coup, comme par un miracle, est devenue sensible aux traits de cette passion que j'avais toujours méprisée. J'ai trouvé d'abord des raisons pour autoriser ce changement, et je puis l'appuyer de ma volonté de répondre aux ardentes sollicitations d'un père, et aux vœux de tout un état; mais, à vous dire vrai, je suis en peine du jugement que vous ferez de moi, et je voudrais savoir si vous condamnerez, ou non, le dessein que j'ai de me donner un époux. EURYALE: Vous pourriez faire un tel choix, Madame, que je l'approuverais sans doute. LA PRINCESSE: Qui croyez-vous, à votre avis, que je veuille choisir? EURYALE: Si j'étais dans votre cœur, je pourrais vous le dire; mais comme je n'y suis pas, je n'ai garde de vous répondre. LA PRINCESSE: Devinez pour voir, et nommez quelqu'un. EURYALE: J'aurais trop peur de me tromper. LA PRINCESSE: Mais encore, pour qui souhaiteriez-vous que je me déclarasse? EURYALE: Je sais bien, à vous dire vrai, pour qui je le souhaiterais; mais, avant que de m'expliquer, je dois savoir votre pensée. LA PRINCESSE: Eh bien, Prince, je veux bien vous la découvrir. Je suis sûre que vous allez approuver mon choix; et pour ne vous point tenir en suspens davantage, le prince de Messène est celui de qui le mérite s'est attiré mes vœux. EURYALE: Ô Ciel! LA PRINCESSE: Mon invention a réussi, Moron: le voilà qui se trouble. MORON, parlant à la Princesse: Bon, Madame. (Au Prince) Courage, Seigneur! (à la Princesse) Il en tient. (Au Prince) Ne vous défaites pas. LA PRINCESSE: Ne trouvez-vous pas que j'ai raison, et que ce prince a tout le mérite qu'on peut avoir? MORON, au Prince: Remettez-vous et songez à répondre. LA PRINCESSE: D'où vient, Prince, que vous ne dites mot, et semblez interdit? EURYALE: Je le suis, à la vérité; et j'admire, Madame, comme le Ciel a pu former deux âmes aussi semblables en tout que les nôtres, deux âmes en qui l'on ait vu une plus grande conformité de sentiments, qui aient fait éclater, dans le même temps, une résolution à braver les traits de l'amour, et qui, dans le même moment, aient fait paraître une égale facilité à perdre le nom d'insensibles. Car enfin, Madame, puisque votre exemple m'autorise, je ne feindrai point de vous dire que l'amour aujourd'hui s'est rendu maître de mon cœur, et qu'une des princesses vos cousines, l'aimable et belle Aglante, a renversé d'un coup d'œil tous les projets de ma fierté. Je suis ravi, Madame, que, par cette égalité de défaite, nous n'ayons rien à nous reprocher l'un à l'autre, et je ne doute point que, comme je vous loue infiniment de votre choix, vous n'approuviez aussi le mien. Il faut que ce miracle éclate aux yeux de tout le monde, et nous ne devons point différer à nous rendre tous deux contents. Pour moi, Madame, je vous sollicite de vos suffrages pour obtenir celle que je souhaite, et vous trouverez bon que j'aille de ce pas en faire la demande au prince votre père. MORON: Ah! digne, ah! brave cœur!
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