La Princesse d'Élide

Le texte de la deuxième scène du cinquième acte de la pièce de Molière : La Princesse d’Élide
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LA PRINCESSE, LE PRINCE IPHITAS, EURYALE, AGLANTE, CYNTHIE, MORON.

LA PRINCESSE: Ô Ciel! que vois-je ici?

LE PRINCE IPHITAS: Oui, l'honneur de votre alliance m'est d'un prix très considérable, et je souscris aisément de tous mes suffrages à la demande que vous me faites.

LA PRINCESSE: Seigneur, je me jette à vos pieds pour vous demander une grâce. Vous m'avez toujours témoigné une tendresse extrême, et je crois vous devoir bien plus par les bontés que vous m'avez fait voir que par le jour que vous m'avez donné. Mais si jamais vous avez pour moi eu de l'amitié, je vous en demande aujourd'hui la plus sensible preuve que vous me puissiez accorder: c'est de n'écouter point, Seigneur, la demande de ce prince, et ne pas souffrir que la princesse Aglante soit unie avec lui.

LE PRINCE IPHITAS: Et par quelle raison, ma fille, voudrais-tu t'opposer à cette union?

LA PRINCESSE: Par la raison que je hais ce prince, et que je veux, si je puis, traverser ses desseins.

LE PRINCE IPHITAS: Tu le hais, ma fille?

LA PRINCESSE: Oui, et de tout mon cœur, je vous l'avoue.

LE PRINCE IPHITAS: Et que t'a-t-il fait?

LA PRINCESSE: Il m'a méprisée.

LE PRINCE IPHITAS: Et comment?

LA PRINCESSE: Il ne m'a pas trouvée assez bien faite pour m'adresser ses vœux.

LE PRINCE IPHITAS: Et quelle offense te fait cela? Tu ne veux accepter personne.

LA PRINCESSE: N'importe. Il me devait aimer comme les autres, et me laisser au moins la gloire de le refuser. Sa déclaration me fait un affront; et ce m'est une honte sensible qu'à mes yeux, et au milieu de votre cœur, il a recherché une autre que moi.

LE PRINCE IPHITAS: Mais quel intérêt dois-tu prendre à lui?

LA PRINCESSE: J'en prends, Seigneur, à me venger de son mépris; et comme je sais bien qu'il aime Aglante avec beaucoup d'ardeur, je veux empêcher, s'il vous plaît, qu'il ne soit heureux avec elle.

LE PRINCE IPHITAS: Cela te tient donc bien au cœur?

LA PRINCESSE: Oui, Seigneur, sans doute; et s'il obtient ce qu'il demande, vous me verrez expirer à vos yeux.

LE PRINCE IPHITAS: Va, va, ma fille, avoue franchement la chose: le mérite de ce prince t'a fait ouvrir les yeux, et tu l'aimes enfin, quoi que tu puisses dire.

LA PRINCESSE: Moi, Seigneur?

LE PRINCE IPHITAS: Oui, tu l'aimes.

LA PRINCESSE: Je l'aime, dites-vous? et vous m'imputez cette lâcheté! Ô Ciel! quelle est mon infortune! Puis-je bien, sans mourir, entendre ces paroles? et faut-il que je sois si malheureuse, qu'on me soupçonne de l'aimer? Ah! si c'était un autre que vous, Seigneur, qui me tînt ce discours, je ne sais pas ce que je ne ferais point.

LE PRINCE IPHITAS: Eh bien! oui, tu ne l'aimes pas, tu le hais, j'y consens; et je veux bien, pour te contenter, qu'il n'épouse pas la princesse Aglante.

LA PRINCESSE: Ah! Seigneur, vous me donnez la vie.

LE PRINCE IPHITAS: Mais afin d'empêcher qu'il ne puisse être jamais à elle, il faut que tu le prennes pour toi.

LA PRINCESSE: Vous vous moquez, Seigneur, et ce n'est pas ce qu'il demande.

EURYALE: Pardonnez-moi, Madame, je suis assez téméraire pour cela, et je prends à témoin le prince votre père si ce n'est pas vous que j'ai demandée. C'est trop vous tenir dans l'erreur; il faut lever le masque, et, dussiez-vous vous en prévaloir contre moi, découvrir à vos yeux les véritables sentiments de mon cœur. Je n'ai jamais aimé que vous, et jamais je n'aimerai que vous: c'est vous, Madame, qui m'avez enlevé cette qualité d'insensible que j'avais toujours affectée; et tout ce que j'ai pu vous dire n'a été qu'une feinte, qu'un mouvement secret m'a inspirée, et que je n'ai suivie qu'avec toutes les violences imaginables. Il fallait qu'elle cessât bientôt, sans doute, et je m'étonne seulement qu'elle ait pu durer la moitié d'un jour; car enfin je mourais, je brûlais dans l'âme, quand je vous déguisais mes sentiments; et jamais cœur n'a souffert une contrainte égale à la mienne. Que si cette feinte, Madame, a quelque chose qui vous offense, je suis tout prêt de mourir pour vous en venger: vous n'avez qu'à parler, et ma main sur-le-champ fera gloire d'exécuter l'arrêt que vous prononcerez.

LA PRINCESSE: Non, non, Prince, je ne vous sais pas mauvais gré de m'avoir abusée; et tout ce que vous m'avez dit, je l'aime bien mieux une feinte, que non pas une vérité.

LE PRINCE IPHITAS: Si bien donc, ma fille, que tu veux bien accepter ce prince pour époux?

LA PRINCESSE: Seigneur, je ne sais pas encore ce que je veux. Donnez-moi le temps d'y songer, je vous prie, et m'épargnez un peu la confusion où je suis.

LE PRINCE IPHITAS: Vous jugez, Prince, ce que cela veut dire, et vous vous pouvez fonder là-dessus.

EURYALE: Je l'attendrai tant qu'il vous plaira, Madame, cet arrêt de ma destinée; et s'il me condamne à la mort, je le suivrai sans murmure.

LE PRINCE IPHITAS: Viens, Moron. C'est ici un jour de paix, et je te remets en grâce avec la Princesse.

MORON: Seigneur, je serai meilleur courtisan une autre fois, et je me garderai bien de dire ce que je pense.
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