Sganarelle, ou le Cocu Imaginaire Le texte scène 16 de la pièce de Molière : Sganarelle, ou le Cocu imaginaire
Ce n'est point s'expliquer en termes ambigus. Cet étrange propos me rend aussi confus Que s'il m'était venu des cornes à la tête. (Il se tourne du côté que Lélie s'en vient d'en aller) Allez, ce procédé n'est point du tout honnête. CÉLIE, à part. Quoi? Lélie a paru tout à l'heure à mes yeux. Qui pourrait me cacher son retour en ces lieux? SGANARELLE poursuit. "Oh! trop heureux d'avoir une si belle femme!" Malheureux bien plutôt de l'avoir, cette infâme, Dont le coupable feu, trop bien vérifié, Sans respect ni demi nous a cocufié! (Célie approche peu à peu de lui, attend que son transport soit fini pour lui parler) Mais je le laisse aller après un tel indice, Et demeure les bras croisés comme un jocrisse? Ah! je devais du moins lui jeter son chapeau, Lui ruer quelque pierre, ou crotter son manteau, Et sur lui hautement, pour contenter ma rage, Faire au larron d'honneur crier le voisinage. CÉLIE Celui qui maintenant devers vous est venu, Et qui vous a parlé, d'où vous est-il connu? SGANARELLE Hélas! ce n'est pas moi qui le connaît, Madame; C'est ma femme. CÉLIE Quel trouble agite ainsi votre âme? SGANARELLE Ne me condamnez point d'un deuil hors de saison, Et laissez-moi pousser des soupirs à foison. CÉLIE D'où vous peuvent venir ces douleurs non communes? SGANARELLE Si je suis affligé, ce n'est pas pour des prunes; Et je le donnerais à bien d'autres qu'à moi De se voir sans chagrin au point où je me voi. Des maris malheureux vous voyez le modèle: On dérobe l'honneur au pauvre Sganarelle; Mais c'est peu que l'honneur dans mon affliction, L'on me dérobe encor la réputation. CÉLIE Comment? SGANARELLE Ce damoiseau, parlant par révérence, Me fait cocu, Madame, avec toute licence; Et j'ai su par mes yeux avérer aujourd'hui Le commerce secret de ma femme et de lui. CÉLIE Celui qui maintenant. SGANARELLE Oui, oui, me déshonore: Il adore ma femme, et ma femme l'adore. CÉLIE Ah! j'avais bien jugé que ce secret retour Ne pouvait me couvrir que quelque lâche tour; Et j'ai tremblé d'abord, en le voyant paraître, Par un pressentiment de ce qui devait être. SGANARELLE Vous prenez ma défense avec trop de bonté. Tout le monde n'a pas la même charité; Et plusieurs qui tantôt ont appris mon martyre, Bien loin d'y prendre part, n'en ont rien fait que rire. CÉLIE Est-il rien de plus noir que ta lâche action, Et peut-on lui trouver une punition? Dois-tu ne te pas croire indigne de la vie, Après t'être souillé de cette perfidie? Ô Ciel! est-il possible? SGANARELLE Il est trop vrai pour moi. CÉLIE Ah! traître! scélérat! âme double et sans foi! SGANARELLE La bonne âme! CÉLIE Non, non, l'enfer n'a point de gêne Qui ne soit pour ton crime une trop douce peine. SGANARELLE Que voilà bien parler! CÉLIE Avoir ainsi traité Et la même innocence et la même bonté! SGANARELLE. Il soupire haut. Hay! CÉLIE Un cœur qui jamais n'a fait la moindre chose À mériter l'affront où ton mépris l'expose! SGANARELLE Il est vrai. CÉLIE Qui bien loin. Mais c'est trop, et ce cœur Ne saurait y songer sans mourir de douleur. SGANARELLE Ne vous fâchez pas tant, ma très chère Madame: Mon mal vous touche trop, et vous me percez l'âme. CÉLIE Mais ne t'abuse pas jusqu'à te figurer Qu'à des plaintes sans fruit j'en veuille demeurer. Mon cœur, pour se venger, sait ce qu'il te faut faire, Et j'y cours de ce pas; rien ne m'en peut distraire.
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