Sganarelle, ou le Cocu Imaginaire Le texte scène 22 de la pièce de Molière : Sganarelle, ou le Cocu imaginaire
Je ne suis point d'humeur à vouloir contre vous Faire éclater, Madame, un esprit trop jaloux; Mais je ne suis point dupe, et vois ce qui se passe. Il est de certains feux de fort mauvaise grâce; Et votre âme devrait prendre un meilleur emploi Que de séduire un cœur qui doit n'être qu'à moi. CÉLIE La déclaration est assez ingénue. SGANARELLE, à sa femme. L'on ne demande pas, carogne, ta venue: Tu la viens quereller lorsqu'elle me défend, Et tu trembles de peur qu'on t'ôte ton galand. CÉLIE Allez, ne croyez pas que l'on en ait envie. (Se tournant vers Lélie) Tu vois si c'est mensonge; et j'en suis fort ravie. LÉLIE Que me veut-on conter? LA SUIVANTE Ma foi, je ne sais pas Quand on verra finir ce galimatias; Depuis assez longtemps je tâche à le comprendre, Et si plus je l'écoute, et moins je puis l'entendre: Je vois bien à la fin que je m'en dois mêler. (Allant se mettre entre Lélie et sa maîtresse) Répondez-moi par ordre, et me laissez parler. (à Lélie) Vous, qu'est-ce qu'à son cœur peut reprocher le vôtre? LÉLIE Que l'infidèle a pu me quitter pour un autre; Et que quand, sur le bruit de son hymen fatal, J'accours tout transporté d'un amour sans égal, Dont l'ardeur résistait à se croire oubliée, Mon abord en ces lieux la trouve mariée. LA SUIVANTE Mariée! à qui donc? LÉLIE, montrant Sganarelle. À lui. LA SUIVANTE Comment, à lui? LÉLIE Oui-da. LA SUIVANTE Qui vous l'a dit? LÉLIE C'est lui-même, aujourd'hui. LA SUIVANTE, à Sganarelle. Est-il vrai? SGANARELLE Moi? J'ai dit que c'était à ma femme Que j'étais marié. LÉLIE Dans un grand trouble d'âme Tantôt de mon portrait je vous ai vu saisi. SGANARELLE Il est vrai: le voilà. LÉLIE Vous m'avez dit aussi Que celle aux mains de qui vous avez pris ce gage Était liée à vous des nœuds du mariage. SGANARELLE Montrant sa femme. Sans doute. Et je l'avais de ses mains arraché, Et n'eusse pas sans lui découvert son péché. LA FEMME DE SGANARELLE Que me viens-tu conter par ta plainte importune? Je l'avais sous mes pieds rencontré par fortune; Et même, quand, après ton injuste courroux, (Montrant Lélie) J'ai fait, dans sa faiblesse, entrer Monsieur chez nous, Je n'ai pas reconnu les traits de sa peinture. CÉLIE C'est moi qui du portrait ai causé l'aventure; Et je l'ai laissé choir en cette pâmoison (à Sganarelle) Qui m'a fait par vos soins remettre à la maison. LA SUIVANTE Vous le voyez, sans moi vous y seriez encore, Et vous aviez besoin de mon peu d'ellébore. SGANARELLE Prendrons-nous tout ceci pour de l'argent comptant? Mon front l'a, sur mon âme, eu bien chaude pourtant! SA FEMME Ma crainte toutefois n'est pas trop dissipée; Et doux que soit le mal, je crains d'être trompée. SGANARELLE Hé! mutuellement croyons-nous gens de bien: Je risque plus du mien que tu ne fais du tien; Accepte sans façon le parti qu'on propose. SA FEMME Soit. Mais gare le bois si j'apprends quelque chose! CÉLIE, à Lélie. Ah! Dieux! s'il est ainsi, qu'est-ce donc que j'ai fait? Je dois de mon courroux appréhender l'effet: Oui, vous croyant sans foi, j'ai pris, pour ma vengeance, Le malheureux secours de mon obéissance; Et depuis un moment mon cœur vient d'accepter Un hymen que toujours j'eus lieu de rebuter; J'ai promis à mon père; et ce qui me désole. Mais je le vois venir. LÉLIE Il me tiendra parole.
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