DORINE, MARIANE.
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DORINE |
585 | Avez-vous donc perdu, dites-moi, la parole ?
Et faut-il qu'en ceci je fasse votre rôle?
Souffrir qu'on vous propose un projet insensé,
Sans que du moindre mot vous l'ayez repoussé! |
MARIANE |
| Contre un père absolu, que veux-tu que je fasse? |
DORINE |
590 | Ce qu'il faut pour parer une telle menace. |
MARIANE |
| Quoi? |
DORINE |
| Lui dire qu'un cœur n'aime point par autrui; |
| Que vous vous mariez pour vous, non pas pour lui;
Qu'étant celle pour qui se fait toute l'affaire,
C'est à vous, non à lui, que le mari doit plaire; |
595 | Et que si son Tartuffe est pour lui si charmant,
Il le peut épouser, sans nul empêchement. |
MARIANE |
| Un père, je l'avoue, a sur nous tant d'empire,
Que je n'ai jamais eu la force de rien dire. |
DORINE |
| Mais raisonnons. Valère a fait pour vous des pas*; |
600 | L'aimez-vous, je vous prie, ou ne l'aimez-vous pas? |
MARIANE |
| Ah! qu'envers mon amour, ton injustice est grande,
Dorine! me dois-tu faire cette demande?
T'ai-je pas là-dessus ouvert cent fois mon cœur?
Et sais-tu pas, pour lui, jusqu'où va mon ardeur? |
DORINE |
605 | Que sais-je si le cœur a parlé par la bouche,
Et si c'est tout de bon que cet amant vous touche? |
MARIANE |
| Tu me fais un grand tort, Dorine, d'en douter,
Et mes vrais sentiments ont su trop éclater. |
DORINE |
| Enfin, vous l'aimez donc? |
MARIANE |
| Oui, d'une ardeur extrême. |
DORINE |
610 | Et selon l'apparence, il vous aime de même? |
MARIANE |
| Je le crois. |
DORINE |
| Et tous deux brûlez également |
| De vous voir mariés ensemble? |
MARIANE |
| Assurément. |
DORINE |
| Sur cette autre union, quelle est donc votre attente? |
MARIANE |
| De me donner la mort, si l'on me violente. |
DORINE |
615 | Fort bien. C'est un recours où je ne songeais pas;
Vous n'avez qu'à mourir, pour sortir d'embarras,
Le remède sans doute est merveilleux. J'enrage,
Lorsque j'entends tenir ces sortes de langage. |
MARIANE |
| Mon Dieu, de quelle humeur, Dorine, tu te rends! |
620 | Tu ne compatis point aux déplaisirs des gens. |
DORINE |
| Je ne compatis point à qui dit des sornettes,
Et dans l'occasion* mollit comme vous faites. |
MARIANE |
| Mais que veux-tu? si j'ai de la timidité. |
DORINE |
| Mais l'amour dans un cœur veut de la fermeté. |
MARIANE |
625 | Mais n'en gardé-je pas pour les feux de Valère?
Et n'est-ce pas à lui de m'obtenir d'un père? |
DORINE |
| Mais quoi! si votre père est un bourru* fieffé,
Qui s'est de son Tartuffe entièrement coiffé*,
Et manque à l'union qu'il avait arrêtée, |
630 | La faute à votre amant doit-elle être imputée? |
MARIANE |
| Mais par un haut refus, et d'éclatants mépris,
Ferai-je, dans mon choix, voir un cœur trop épris?
Sortirai-je pour lui, quelque éclat dont il brille,
De la pudeur du sexe, et du devoir de fille? |
635 | Et veux-tu que mes feux par le monde étalés... |
DORINE |
| Non, non, je ne veux rien. Je vois que vous voulez
Être à Monsieur Tartuffe; et j'aurais, quand j'y pense,
Tort de vous détourner d'une telle alliance.
Quelle raison aurais-je à combattre vos vœux? |
640 | Le parti, de soi-même, est fort avantageux.
Monsieur Tartuffe! oh, oh, n'est-ce rien qu'on propose?
Certes, Monsieur Tartuffe, à bien prendre la chose,
N'est pas un homme, non, qui se mouche du pié*,
Et ce n'est pas peu d'heur*, que d'être sa moitié. |
645 | Tout le monde déjà de gloire le couronne,
Il est noble chez lui*, bien fait de sa personne,
Il a l'oreille rouge, et le teint bien fleuri;
Vous vivrez trop contente avec un tel mari*. |
MARIANE |
| Mon Dieu... |
DORINE |
| Quelle allégresse aurez-vous dans votre âme, |
650 | Quand d'un époux si beau vous vous verrez la femme! |
MARIANE |
| Ha, cesse, je te prie, un semblable discours,
Et contre cet hymen ouvre-moi du secours.
C'en est fait, je me rends, et suis prête à tout faire. |
DORINE |
| Non, il faut qu'une fille obéisse à son père, |
655 | Voulût-il lui donner un singe pour époux.
Votre sort est fort beau, de quoi vous plaignez-vous?
Vous irez par le coche en sa petite ville,
Qu'en oncles, et cousins, vous trouverez fertile;
Et vous vous plairez fort à les entretenir. |
660 | D'abord chez le beau monde on vous fera venir.
Vous irez visiter, pour votre bienvenue,
Madame la baillive, et Madame l'élue*,
Qui d'un siége pliant* vous feront honorer.
Là, dans le carnaval, vous pourrez espérer |
665 | Le bal, et la grand'bande*, à savoir, deux musettes,
Et, parfois, Fagotin*, et les marionnettes.
Si pourtant votre époux... |
MARIANE |
| Ah! tu me fais mourir. |
| De tes conseils, plutôt, songe à me secourir. |
DORINE |
| Je suis votre servante. |
MARIANE |
| Eh, Dorine, de grâce... |
DORINE |
670 | Il faut, pour vous punir, que cette affaire passe. |
MARIANE |
| Ma pauvre fille! |
DORINE |
| Non. |
MARIANE |
| Si mes vœux déclarés*... |
DORINE |
| Point, Tartuffe est votre homme, et vous en tâterez. |
MARIANE |
| Tu sais qu'à toi toujours je me suis confiée.
Fais-moi... |
DORINE |
| Non; vous serez, ma foi, tartuffiée. |
MARIANE |
675 | Hé bien, puisque mon sort ne saurait t'émouvoir,
Laisse-moi désormais toute à mon désespoir.
C'est de lui que mon cœur empruntera de l'aide,
Et je sais, de mes maux, l'infaillible remède.
(Elle veut s'en aller.) |
DORINE |
| Hé, là, là, revenez; je quitte mon courroux. |
680 | Il faut, nonobstant tout, avoir pitié de vous. |
MARIANE |
| Vois-tu, si l'on m'expose à ce cruel martyre,
Je te le dis, Dorine, il faudra que j'expire. |
DORINE |
| Ne vous tourmentez point, on peut adroitement
Empêcher... Mais voici Valère votre amant. |
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