ELMIRE, TARTUFFE.
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TARTUFFE |
| Que le Ciel à jamais, par sa toute bonté, |
880 | Et de l'âme, et du corps, vous donne la santé;
Et bénisse vos jours autant que le désire
Le plus humble de ceux que son amour inspire. |
ELMIRE |
| Je suis fort obligée à ce souhait pieux:
Mais prenons une chaise, afin d'être un peu mieux. |
TARTUFFE |
885 | Comment, de votre mal, vous sentez-vous remise? |
ELMIRE |
| Fort bien; et cette fièvre a bientôt quitté prise. |
TARTUFFE |
| Mes prières n'ont pas le mérite qu'il faut
Pour avoir attiré cette grâce d'en haut:
Mais je n'ai fait au Ciel nulle dévote instance |
890 | Qui n'ait eu pour objet votre convalescence. |
ELMIRE |
| Votre zèle pour moi s'est trop inquiété. |
TARTUFFE |
| On ne peut trop chérir votre chère santé ;
Et pour la rétablir, j'aurais donné la mienne. |
ELMIRE |
| C'est pousser bien avant la charité chrétienne; |
895 | Et je vous dois beaucoup, pour toutes ces bontés. |
TARTUFFE |
| Je fais bien moins pour vous, que vous ne méritez. |
ELMIRE |
| J'ai voulu vous parler en secret, d'une affaire,
Et suis bien aise, ici qu'aucun ne nous éclaire*. |
TARTUFFE |
| J'en suis ravi de même ; et sans doute* il m'est doux, |
900 | Madame, de me voir, seul à seul, avec vous.
C'est une occasion qu'au Ciel j'ai demandée,
Sans que, jusqu'à cette heure, il me l'ait accordée. |
ELMIRE |
| Pour moi, ce que je veux, c'est un mot d'entretien,
Où tout votre cœur s'ouvre, et ne me cache rien. |
TARTUFFE |
905 | Et je ne veux aussi, pour grâce singulière,
Que montrer à vos yeux mon âme tout entière;
Et vous faire serment, que les bruits que j'ai faits*,
Des visites qu'ici reçoivent vos attraits,
Ne sont pas, envers vous, l'effet d'aucune haine, |
910 | Mais plutôt d'un transport de zèle qui m'entraîne,
Et d'un pur mouvement... |
ELMIRE |
| Je le prends bien aussi, |
| Et crois que mon salut vous donne ce souci. |
TARTUFFE. Il lui serre les bouts des doigts. |
| Oui, Madame, sans doute; et ma ferveur est telle... |
ELMIRE |
| Ouf, vous me serrez trop. |
TARTUFFE |
| C'est par excès de zèle. |
915 | De vous faire autre mal, je n'eus jamais dessein*,
Et j'aurais bien plutôt...
(Il lui met la main sur le genou.) |
ELMIRE |
| Que fait là votre main? |
TARTUFFE |
| Je tâte votre habit, l'étoffe en est moelleuse. |
ELMIRE |
| Ah! de grâce, laissez, je suis fort chatouilleuse.
(Elle recule sa chaise, et Tartuffe rapproche la sienne.) |
TARTUFFE |
| Mon Dieu, que de ce point l'ouvrage est merveilleux! |
920 | On travaille aujourd'hui, d'un air miraculeux;
Jamais, en toute chose, on n'a vu si bien faire. |
ELMIRE |
| Il est vrai. Mais parlons un peu de notre affaire.
On tient que mon mari veut dégager sa foi,
Et vous donner sa fille; est-il vrai, dites-moi? |
TARTUFFE |
925 | Il m'en a dit deux mots: mais, Madame, à vrai dire,
Ce n'est pas le bonheur après quoi je soupire;
Et je vois autre part les merveilleux attraits
De la félicité qui fait tous mes souhaits. |
ELMIRE |
| C'est que vous n'aimez rien des choses de la terre. |
TARTUFFE |
930 | Mon sein n'enferme pas un cœur qui soit de pierre. |
ELMIRE |
| Pour moi, je crois qu'au Ciel tendent tous vos soupirs,
Et que rien, ici-bas, n'arrête vos désirs. |
TARTUFFE |
| L'amour qui nous attache aux beautés éternelles,
N'étouffe pas en nous l'amour des temporelles. |
935 | Nos sens facilement peuvent être charmés
Des ouvrages parfaits que le Ciel a formés.
Ses attraits réfléchis* brillent dans vos pareilles:
Mais il étale en vous ses plus rares merveilles.
Il a sur votre face épanché des beautés, |
940 | Dont les yeux sont surpris, et les cœurs transportés ;
Et je n'ai pu vous voir, parfaite créature,
Sans admirer en vous l'auteur de la nature,
Et d'une ardente amour* sentir mon cœur atteint,
Au plus beau des portraits* où lui-même il s'est peint. |
945 | D'abord j'appréhendai que cette ardeur secrète
Ne fût du noir esprit* une surprise adroite*;
Et même à fuir vos yeux, mon cœur se résolut,
Vous croyant un obstacle à faire mon salut.
Mais enfin je connus, ô beauté toute aimable, |
950 | Que cette passion peut n'être point coupable;
Que je puis l'ajuster avecque la pudeur,
Et c'est ce qui m'y fait abandonner mon cœur.
Ce m'est, je le confesse, une audace bien grande,
Que d'oser, de ce cœur, vous adresser l'offrande; |
955 | Mais j'attends, en mes vœux, tout de votre bonté,
Et rien des vains efforts de mon infirmité.
En vous est mon espoir, mon bien, ma quiétude:
De vous dépend ma peine, ou ma béatitude;
Et je vais être enfin, par votre seul arrêt, |
960 | Heureux, si vous voulez; malheureux, s'il vous plaît. |
ELMIRE |
| La déclaration est tout à fait galante:
Mais elle est, à vrai dire, un peu bien surprenante.
Vous deviez*, ce me semble, armer mieux votre sein,
Et raisonner un peu sur un pareil dessein. |
965 | Un dévot comme vous, et que partout on nomme... |
TARTUFFE |
| Ah! pour être dévot, je n'en suis pas moins homme*;
Et lorsqu'on vient à voir vos célestes appas,
Un cœur se laisse prendre, et ne raisonne pas.
Je sais qu'un tel discours de moi paraît étrange; |
970 | Mais, Madame, après tout, je ne suis pas un ange;
Et si vous condamnez l'aveu que je vous fais,
Vous devez vous en prendre à vos charmants attraits.
Dès que j'en vis briller la splendeur plus qu'humaine,
De mon intérieur* vous fûtes souveraine. |
975 | De vos regards divins, l'ineffable douceur,
Força la résistance où s'obstinait mon cœur;
Elle surmonta tout, jeûnes, prières, larmes,
Et tourna tous mes vœux du côté de vos charmes.
Mes yeux, et mes soupirs, vous l'ont dit mille fois ; |
980 | Et pour mieux m'expliquer, j'emploie ici la voix.
Que si vous contemplez, d'une âme un peu bénigne,
Les tribulations de votre esclave indigne;
S'il faut que vos bontés veuillent me consoler,
Et jusqu'à mon néant daignent se ravaler, |
985 | J'aurai toujours pour vous, ô suave merveille,
Une dévotion à nulle autre pareille.
Votre honneur, avec moi, ne court point de hasard;
Et n'a nulle disgrâce à craindre de ma part.
Tous ces galants de cour, dont les femmes sont folles, |
990 | Sont bruyants dans leurs faits, et vains dans leurs paroles.
De leurs progrès sans cesse on les voit se targuer;
Ils n'ont point de faveurs, qu'ils n'aillent divulguer;
Et leur langue indiscrète, en qui l'on se confie,
Déshonore l'autel où leur cœur sacrifie: |
995 | Mais les gens comme nous, brûlent d'un feu discret,
Avec qui pour toujours on est sûr du secret.
Le soin que nous prenons de notre renommée,
Répond de toute chose à la personne aimée;
Et c'est en nous qu'on trouve, acceptant notre cœur, |
1000 | De l'amour sans scandale, et du plaisir sans peur*. |
ELMIRE |
| Je vous écoute dire, et votre rhétorique,
En termes assez forts, à mon âme s'explique.
N'appréhendez-vous point, que je ne sois d'humeur
À dire à mon mari cette galante ardeur? |
1005 | Et que le prompt avis d'un amour de la sorte,
Ne pût bien altérer l'amitié qu'il vous porte? |
TARTUFFE |
| Je sais que vous avez trop de bénignité,
Et que vous ferez grâce à ma témérité;
Que vous m'excuserez sur l'humaine faiblesse |
1010 | Des violents transports d'un amour qui vous blesse;
Et considérerez, en regardant votre air,
Que l'on n'est pas aveugle, et qu'un homme est de chair. |
ELMIRE |
| D'autres prendraient cela d'autre façon, peut-être;
Mais ma discrétion se veut faire paraître. |
1015 | Je ne redirai point l'affaire à mon époux;
Mais je veux en revanche une chose de vous.
C'est de presser tout franc, et sans nulle chicane,
L'union de Valère avecque Mariane;
De renoncer vous-même à l'injuste pouvoir |
1020 | Qui veut du bien d'un autre enrichir votre espoir ;
Et... |
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