Le Tartuffe, ou l'Imposteur

Le texte de la Scène 1 Acte 4 de la pièce de Molière : Le Tartuffe, ou l'Imposteur
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CLÉANTE, TARTUFFE.

CLÉANTE
1185 Oui, tout le monde en parle, et vous m'en pouvez croire.
L'éclat que fait ce bruit, n'est point à votre gloire;
Et je vous ai trouvé, Monsieur, fort à propos,
Pour vous en dire net ma pensée en deux mots.
Je n'examine point à fond ce qu'on expose,
1190 Je passe là-dessus, et prends au pis la chose.
Supposons que Damis n'en ait pas bien usé,
Et que ce soit à tort qu'on vous ait accusé:
N'est-il pas d'un chrétien, de pardonner l'offense,
Et d'éteindre en son cœur tout désir de vengeance?
1195 Et devez-vous souffrir, pour votre démêlé,
Que du logis d'un père, un fils soit exilé?
Je vous le dis encore, et parle avec franchise;
Il n'est petit, ni grand, qui ne s'en scandalise;
Et si vous m'en croyez, vous pacifierez tout,
1200 Et ne pousserez point les affaires à bout.
Sacrifiez à Dieu toute votre colère,
Et remettez le fils en grâce avec le père.

TARTUFFE
Hélas! je le voudrais, quant à moi, de bon cœur;
Je ne garde pour lui, Monsieur, aucune aigreur,
1205 Je lui pardonne tout, de rien je ne le blâme,
Et voudrais le servir du meilleur de mon âme:
Mais l'intérêt du Ciel n'y saurait consentir ;
Et s'il rentre céans, c'est à moi d'en sortir.
Après son action qui n'eut jamais d'égale,
1210 Le commerce, entre nous, porterait du scandale:
Dieu sait ce que d'abord tout le monde en croirait;
À pure politique, on me l'imputerait;
Et l'on dirait partout, que me sentant coupable,
Je feins, pour qui m'accuse, un zèle charitable;
1215 Que mon cœur l'appréhende, et veut le ménager,
Pour le pouvoir, sous main, au silence engager.

CLÉANTE
Vous nous payez ici d'excuses colorées*,
Et toutes vos raisons, Monsieur, sont trop tirées*
Des intérêts du Ciel. Pourquoi vous chargez-vous?
1220 Pour punir le coupable, a-t-il besoin de nous?
Laissez-lui, laissez-lui le soin de ses vengeances,
Ne songez qu'au pardon qu'il prescrit des offenses;
Et ne regardez point aux jugements humains,
Quand vous suivez du Ciel les ordres souverains.
1225 Quoi! le faible intérêt de ce qu'on pourra croire,
D'une bonne action, empêchera la gloire?
Non, non, faisons toujours ce que le Ciel prescrit,
Et d'aucun autre soin ne nous brouillons l'esprit.

TARTUFFE
Je vous ai déjà dit que mon cœur lui pardonne,
1230 Et c'est faire, Monsieur, ce que le Ciel ordonne:
Mais après le scandale, et l'affront d'aujourd'hui,
Le Ciel n'ordonne pas que je vive avec lui.

CLÉANTE
Et vous ordonne-t-il, Monsieur, d'ouvrir l'oreille
À ce qu'un pur caprice à son père conseille?
1235 Et d'accepter le don qui vous est fait d'un bien
Où le droit vous oblige à ne prétendre rien.

TARTUFFE
Ceux qui me connaîtront, n'auront pas la pensée
Que ce soit un effet d'une âme intéressée.
Tous les biens de ce monde ont pour moi peu d'appas,
1240 De leur éclat trompeur je ne m'éblouis pas;
Et si je me résous à recevoir du père
Cette donation qu'il a voulu me faire,
Ce n'est à dire vrai, que parce que je crains
Que tout ce bien ne tombe en de méchantes mains;
1245 Qu'il ne trouve des gens, qui l'ayant en partage,
En fassent, dans le monde, un criminel usage;
Et ne s'en servent pas, ainsi que j'ai dessein,
Pour la gloire du Ciel, et le bien du prochain.

CLÉANTE
Hé, Monsieur, n'ayez point ces délicates craintes,
1250 Qui d'un juste héritier peuvent causer les plaintes.
Souffrez, sans vous vouloir embarrasser de rien,
Qu'il soit, à ses périls, possesseur de son bien;
Et songez qu'il vaut mieux encor qu'il en mésuse,
Que si de l'en frustrer, il faut qu'on vous accuse.
1255 J'admire seulement que, sans confusion,
Vous en ayez souffert la proposition:
Car enfin, le vrai zèle a-t-il quelque maxime
Qui montre à* dépouiller l'héritier légitime?
Et s'il faut que le Ciel dans votre cœur ait mis
1260 Un invincible obstacle à vivre avec Damis,
Ne vaudrait-il pas mieux, qu'en personne discrète,
Vous fissiez de céans une honnête retraite,
Que de souffrir ainsi, contre toute raison,
Qu'on en chasse, pour vous, le fils de la maison?
1265 Croyez-moi, c'est donner de votre prud'homie,
Monsieur...

TARTUFFE
Il est, Monsieur, trois heures et demie;
Certain devoir pieux me demande là-haut,
Et vous m'excuserez, de vous quitter sitôt.

CLÉANTE
Ah!
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