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Le Tartuffe, ou l'Imposteur Le texte de la Scène 5 Acte 4 de la pièce de Molière : Le Tartuffe, ou l'Imposteur
TARTUFFE, ELMIRE, ORGON.
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TARTUFFE |
| On m'a dit qu'en ce lieu vous me vouliez parler. |
ELMIRE |
| Oui, l'on a des secrets à vous y révéler :
Mais tirez cette porte avant qu'on vous les dise, |
1390 | Et regardez partout, de crainte de surprise :
Une affaire pareille à celle de tantôt,
N'est pas assurément ici ce qu'il nous faut.
Jamais il ne s'est vu de surprise de même,
Damis m'a fait, pour vous, une frayeur extrême, |
1395 | Et vous avez bien vu que j'ai fait mes efforts
Pour rompre son dessein, et calmer ses transports.
Mon trouble, il est bien vrai, m'a si fort possédée*,
Que de le démentir je n'ai point eu l'idée:
Mais par là, grâce au Ciel, tout a bien mieux été, |
1400 | Et les choses en sont dans plus de sûreté*.
L'estime où l'on vous tient, a dissipé l'orage,
Et mon mari, de vous, ne peut prendre d'ombrage.
Pour mieux braver l'éclat des mauvais jugements,
Il veut que nous soyons ensemble à tous moments; |
1405 | Et c'est par où je puis, sans peur d'être blâmée,
Me trouver ici seule avec vous enfermée,
Et ce qui m'autorise à vous ouvrir un cœur
Un peu trop prompt, peut-être, à souffrir votre ardeur. |
TARTUFFE |
| Ce langage, à comprendre, est assez difficile, |
1410 | Madame, et vous parliez tantôt d'un autre style. |
ELMIRE |
| Ah! si d'un tel refus vous êtes en courroux,
Que le cœur d'une femme est mal connu de vous!
Et que vous savez peu ce qu'il veut faire entendre,
Lorsque si faiblement on le voit se défendre! |
1415 | Toujours notre pudeur combat, dans ces moments,
Ce qu'on peut nous donner de tendres sentiments.
Quelque raison qu'on trouve à l'amour qui nous dompte,
On trouve à l'avouer, toujours un peu de honte;
On s'en défend d'abord; mais de l'air qu'on s'y prend, |
1420 | On fait connaître assez que notre cœur se rend;
Qu'à nos vœux, par honneur, notre bouche s'oppose,
Et que de tels refus promettent toute chose.
C'est vous faire, sans doute, un assez libre aveu,
Et sur notre pudeur me ménager bien peu: |
1425 | Mais puisque la parole enfin en est lâchée,
À retenir Damis, me serais-je attachée ?
Aurais-je, je vous prie, avec tant de douceur,
Écouté tout au long l'offre de votre cœur ?
Aurais-je pris la chose ainsi qu'on m'a vu faire, |
1430 | Si l'offre de ce cœur n'eût eu de quoi me plaire?
Et lorsque j'ai voulu moi-même vous forcer
À refuser l'hymen qu'on venait d'annoncer,
Qu'est-ce que cette instance a dû vous faire entendre,
Que l'intérêt* qu'en vous on s'avise de prendre, |
1435 | Et l'ennui qu'on aurait que ce nœud qu'on résout,
Vînt partager du moins un cœur que l'on veut tout? |
TARTUFFE |
| C'est sans doute*, Madame, une douceur extrême,
Que d'entendre ces mots d'une bouche qu'on aime;
Leur miel, dans tous mes sens, fait couler à longs traits |
1440 | Une suavité qu'on ne goûta jamais.
Le bonheur de vous plaire, est ma suprême étude,
Et mon cœur, de vos vœux, fait sa béatitude;
Mais ce cœur vous demande ici la liberté,
D'oser douter un peu de sa félicité. |
1445 | Je puis croire ces mots un artifice honnête,
Pour m'obliger à rompre un hymen qui s'apprête;
Et s'il faut librement m'expliquer avec vous,
Je ne me fierai point à des propos si doux,
Qu'un peu de vos faveurs, après quoi je soupire, |
1450 | Ne vienne m'assurer tout ce qu'ils m'ont pu dire,
Et planter dans mon âme une constante foi
Des charmantes bontés que vous avez pour moi. |
ELMIRE. Elle tousse pour avertir son mari. |
| Quoi! vous voulez aller avec cette vitesse,
Et d'un cœur, tout d'abord, épuiser la tendresse? |
1455 | On se tue à vous faire un aveu des plus doux,
Cependant ce n'est pas encore assez pour vous ;
Et l'on ne peut aller jusqu'à vous satisfaire,
Qu'aux dernières faveurs on ne pousse l'affaire*? |
TARTUFFE |
| Moins on mérite un bien, moins on l'ose espérer ; |
1460 | Nos vœux, sur des discours, ont peine à s'assurer ;
On soupçonne aisément un sort* tout plein de gloire,
Et l'on veut en jouir, avant que de le croire.
Pour moi, qui crois si peu mériter vos bontés,
Je doute du bonheur de mes témérités*; |
1465 | Et je ne croirai rien, que vous n'ayez, Madame,
Par des réalités, su convaincre ma flamme. |
ELMIRE |
| Mon Dieu, que votre amour, en vrai tyran agit!
Et qu'en un trouble étrange il me jette l'esprit!
Que sur les cœurs il prend un furieux empire! |
1470 | Et qu'avec violence il veut ce qu'il désire!
Quoi! de votre poursuite, on ne peut se parer*,
Et vous ne donnez pas le temps de respirer?
Sied-il bien de tenir une rigueur si grande?
De vouloir sans quartier, les choses qu'on demande? |
1475 | Et d'abuser ainsi, par vos efforts pressants,
Du faible que pour vous, vous voyez qu'ont les gens? |
TARTUFFE |
| Mais si d'un œil bénin vous voyez mes hommages,
Pourquoi m'en refuser d'assurés témoignages? |
ELMIRE |
| Mais comment consentir à ce que vous voulez, |
1480 | Sans offenser le Ciel, dont toujours vous parlez? |
TARTUFFE |
| Si ce n'est que le Ciel qu'à mes vœux on oppose,
Lever un tel obstacle, est à moi peu de chose,
Et cela ne doit pas retenir votre cœur. |
ELMIRE |
| Mais des arrêts du Ciel on nous fait tant de peur. |
TARTUFFE |
1485 | Je puis vous dissiper ces craintes ridicules,
Madame, et je sais l'art de lever les scrupules.
Le Ciel défend, de vrai, certains contentements;
(C'est un scélérat qui parle.)
Mais on trouve avec lui des accommodements.
Selon divers besoins, il est une science, |
1490 | D'étendre les liens de notre conscience,
Et de rectifier le mal de l'action
Avec la pureté de notre intention*.
De ces secrets, Madame, on saura vous instruire;
Vous n'avez seulement qu'à vous laisser conduire. |
1495 | Contentez mon désir, et n'ayez point d'effroi,
Je vous réponds de tout, et prends le mal sur moi.
Vous toussez fort, Madame. |
ELMIRE |
| Oui, je suis au supplice. |
TARTUFFE |
| Vous plaît-il un morceau de ce jus de réglisse? |
ELMIRE |
| C'est un rhume obstiné, sans doute, et je vois bien |
1500 | Que tous les jus du monde, ici, ne feront rien. |
TARTUFFE |
| Cela, certe, est fâcheux. |
ELMIRE |
| Oui, plus qu'on ne peut dire. |
TARTUFFE |
| Enfin votre scrupule est facile à détruire,
Vous êtes assurée ici d'un plein secret,
Et le mal n'est jamais que dans l'éclat qu'on fait. |
1505 | Le scandale du monde, est ce qui fait l'offense;
Et ce n'est pas pécher, que pécher en silence. |
ELMIRE, après avoir encore toussé. |
| Enfin je vois qu'il faut se résoudre à céder,
Qu'il faut que je consente à vous tout accorder;
Et qu'à moins de cela, je ne dois point prétendre |
1510 | Qu'on puisse être content, et qu'on veuille se rendre.
Sans doute*, il est fâcheux d'en venir jusque-là,
Et c'est bien malgré moi, que je franchis cela:
Mais puisque l'on s'obstine à m'y vouloir réduire,
Puisqu'on ne veut point croire à tout ce qu'on peut dire, |
1515 | Et qu'on veut des témoins qui soient plus convaincants,
Il faut bien s'y résoudre, et contenter les gens.
Si ce consentement porte en soi quelque offense,
Tant pis pour qui me force à cette violence;
La faute assurément n'en doit pas être à moi. |
TARTUFFE |
1520 | Oui, Madame, on s'en charge, et la chose de soi... |
ELMIRE |
| Ouvrez un peu la porte, et voyez, je vous prie,
Si mon mari n'est point dans cette galerie. |
TARTUFFE |
| Qu'est-il besoin pour lui, du soin que vous prenez?
C'est un homme, entre nous, à mener par le nez. |
1525 | De tous nos entretiens, il est pour faire gloire,
Et je l'ai mis au point de voir tout, sans rien croire. |
ELMIRE |
| Il n'importe, sortez, je vous prie, un moment,
Et partout, là dehors, voyez exactement. |
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