Le Bourgeois Gentilhomme MADAME JOURDAIN, MONSIEUR JOURDAIN, DORANTE, DORIMÈNE, MUSICIENS, MUSICIENNES, LAQUAIS.
Scène II
MADAME JOURDAIN, MONSIEUR JOURDAIN, DORANTE, DORIMÈNE,
MUSICIENS, MUSICIENNES, LAQUAIS.
MADAME JOURDAIN: Ah, ah! je trouve ici bonne compagnie, et je
vois bien qu'on ne m'y attendait pas. C'est donc pour cette belle
affaire-ci, Monsieur mon mari, que vous avez eu tant
d'empressement à m'envoyer dîner chez ma sur? Je viens de
voir un théâtre là-bas, et je vois ici un banquet à
faire noces. Voilà comme vous dépensez votre bien, et c'est
ainsi que vous festinez les dames en mon absence, et que vous
leur donnez la musique et la comédie, tandis que vous
m'envoyez promener?
DORANTE: Que voulez-vous dire, Madame Jourdain? et quelles
fantaisies sont les vôtres, de vous aller mettre en tête
que votre mari dépense son bien, et que c'est lui qui donne ce
régale à Madame? Apprenez que c'est moi, je vous prie;
qu'il ne fait seulement que me prêter sa maison, et que vous
devriez un peu mieux regarder aux choses que vous dites.
MONSIEUR JOURDAIN: Oui, impertinente, c'est Monsieur le Comte qui
donne tout ceci à Madame, qui est une personne de qualité.
Il me fait l'honneur de prendre ma maison, et de vouloir que je
sois avec lui.
MADAME JOURDAIN: Ce sont des chansons que cela: je sais ce que je sais.
DORANTE: Prenez, Madame Jourdain, prenez de meilleures lunettes.
MADAME JOURDAIN: Je n'ai que faire de lunettes, Monsieur, et je
vois assez clair; il y a longtemps que je sens les choses, et je
ne suis pas une bête. Cela est fort vilain à vous, pour un
grand seigneur, de prêter la main comme vous faites aux
sottises de mon mari. Et vous, Madame, pour une grande Dame, cela
n'est ni beau ni honnête à vous, de mettre de la dissension
dans un ménage, et de souffrir que mon mari soit amoureux de vous.
DORIMÈNE: Que veut donc dire tout ceci? Allez, Dorante, vous
vous moquez, de m'exposer aux sottes visions de cette extravagante.
DORANTE: Madame, holà! Madame, où courez-vous?
MONSIEUR JOURDAIN: Madame! Monsieur le Comte, faites-lui excuses,
et tâchez de la ramener. Ah! Impertinente que vous êtes!
Voilà de vos beaux faits; vous me venez faire des affronts
devant tout le monde, et vous chassez de chez moi des personnes
de qualité.
MADAME JOURDAIN: Je me moque de leur qualité.
MONSIEUR JOURDAIN: Je ne sais qui me tient, maudite, que je ne
vous fende la tête avec les pièces du repas que vous
êtes venue troubler.
On ôte la table.
MADAME JOURDAIN, sortant: Je me moque de cela. Ce sont mes droits
que je défends, et j'aurai pour moi toutes les femmes.
MONSIEUR JOURDAIN: Vous faites bien d'éviter ma colère.
Elle est arrivée là bien malheureusement. J'étais en
humeur de dire de jolies choses, et jamais je ne m'étais senti
tant d'esprit. Qu'est-ce que c'est que cela?
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