L'Étourdi Le texte complet de la pièce de Molière : L’Étourdi, ou le Contre-Temps. Acte 1 Scène 4
TRUFALDIN, à Célie. Que faites-vous dehors? et quel soin vous talonne, Vous à qui je défends de parler à personne? CÉLIE Autrefois j'ai connu cet honnête garçon, Et vous n'avez pas lieu d'en prendre aucun soupçon. MASCARILLE Est-ce là le seigneur Trufaldin? CÉLIE Oui, lui-même. MASCARILLE Monsieur, je suis tout vôtre, et ma joie est extrême De pouvoir saluer en toute humilité Un homme dont le nom est partout si vanté. TRUFALDIN Très humble serviteur. MASCARILLE J'incommode peut-être; Mais je l'ai vue ailleurs, où m'ayant fait connaître Les grands talents qu'elle a pour savoir l'avenir, Je voulais sur un point un peu l'entretenir. TRUFALDIN Quoi? te mêlerais-tu d'un peu de diablerie? CÉLIE Non, tout ce que je sais n'est que blanche magie. MASCARILLE Voici donc ce que c'est. Le maître que je sers Languit pour un objet qui le tient dans ses fers. Il aurait bien voulu du feu qui le dévore Pouvoir entretenir la beauté qu'il adore; Mais un dragon veillant sur ce rare trésor N'a pu, quoi qu'il ait fait, le lui permettre encor, Et ce qui plus le gêne et le rend misérable, Il vient de découvrir un rival redoutable: Si bien que pour savoir si ses soins amoureux Ont sujet d'espérer quelque succès heureux, Je viens vous consulter, sûr que de votre bouche Je puis apprendre au vrai le secret qui nous touche. CÉLIE Sous quel astre ton maître a-t-il reçu le jour? MASCARILLE Sous un astre à jamais ne changer son amour. CÉLIE Sans me nommer l'objet pour qui son cœur soupire, La science que j'ai m'en peut assez instruire. Cette fille a du cœur, et dans l'adversité Elle sait conserver une noble fierté; Elle n'est pas d'humeur à trop faire connaître Les secrets sentiments qu'en son cœur on fait naître; Mais je les sais comme elle, et d'un esprit plus doux Je vais en peu de mots te les découvrir tous. MASCARILLE Oh! merveilleux pouvoir de la vertu magique! CÉLIE Si ton maître en ce point de constance se pique, Et que la vertu seule anime son dessein, Qu'il n'appréhende pas de soupirer en vain: Il a lieu d'espérer, et le fort qu'il veut prendre N'est pas sourd aux traités, et voudra bien se rendre. MASCARILLE C'est beaucoup, mais ce fort dépend d'un gouverneur Difficile à gagner. CÉLIE C'est là tout le malheur. MASCARILLE Au diable le fâcheux qui toujours nous éclaire. CÉLIE Je vais vous enseigner ce que vous devez faire. LÉLIE, les joignant. Cessez, Ô Trufaldin, de vous inquiéter: C'est par mon ordre seul qu'il vous vient visiter, Et je vous l'envoyais, ce serviteur fidèle, Vous offrir mon service, et vous parler pour elle, Dont je vous veux dans peu payer la liberté, Pourvu qu'entre nous deux le prix soit arrêté. MASCARILLE La peste soit la bête! TRUFALDIN Ho! ho! Qui des deux croire? Ce discours au premier est fort contradictoire. MASCARILLE Monsieur, ce galant homme a le cerveau blessé: Ne le savez-vous pas? TRUFALDIN Je sais ce que je sais; J'ai crainte ici dessous de quelque manigance. Rentrez, et ne prenez jamais cette licence; Et vous, filous fieffés (ou je me trompe fort), Mettez pour me jouer vos flûtes mieux d'accord. MASCARILLE C'est bien fait; je voudrais qu'encor, sans flatterie, Il nous eût d'un bâton chargés de compagnie; À quoi bon se montrer? Et comme un étourdi Me venir démentir de tout ce que je di? LÉLIE Je pensais faire bien. MASCARILLE Oui, c'était fort l'entendre. Mais quoi? Cette action ne me doit point surprendre: Vous êtes si fertile en pareils Contre-temps, Que vos écarts d'esprit n'étonnent plus les gens. LÉLIE Ah! mon Dieu, pour un rien me voilà bien coupable! Le mal est-il si grand qu'il soit irréparable? Enfin, si tu ne mets Célie entre mes mains, Songe au moins de Léandre à rompre les desseins, Qu'il ne puisse acheter avant moi cette belle. De peur que ma présence encor soit criminelle, Je te laisse. MASCARILLE Fort bien. à vrai dire, l'argent Serait dans notre affaire un sûr et fort agent; Mais ce ressort manquant, il faut user d'un autre.
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