L'Étourdi Le texte complet de la pièce de Molière : L’Étourdi, ou le Contre-Temps. Acte 1 Scène 5
Par mon chef, c'est un siècle étrange que le nôtre! J'en suis confus: jamais tant d'amour pour le bien, Et jamais tant de peine à retirer le sien. Les dettes aujourd'hui, quelque soin qu'on emploie, Sont comme les enfants que l'on conçoit en joie, Et dont avecque peine on fait l'accouchement. L'argent dans une bourse entre agréablement; Mais le terme venu que nous devons le rendre, C'est lors que les douleurs commencent à nous prendre. Baste, ce n'est pas peu que deux mille francs dus Depuis deux ans entiers me soient enfin rendus; Encore est-ce un bonheur. MASCARILLE Ô Dieu! la belle proie À tirer en volant! chut: il faut que je voie Si je pourrais un peu de près le caresser. Je sais bien les discours dont il le faut bercer. Je viens de voir, Anselme. ANSELME Et qui? MASCARILLE Votre Nérine. ANSELME Que dit-elle de moi, cette gente assassine? MASCARILLE Pour vous elle est de flamme. ANSELME Elle? MASCARILLE Et vous aime tant, Que c'est grande pitié. ANSELME Que tu me rends content! MASCARILLE Peu s'en faut que d'amour la pauvrette ne meure: "Anselme, mon mignon, crie-t-elle à toute heure, Quand est-ce que l'hymen unira nos deux cours, Et que tu daigneras éteindre mes ardeurs?" ANSELME Mais pourquoi jusqu'ici me les avoir celées? Les filles, par ma foi, sont bien dissimulées! Mascarille, en effet, qu'en dis-tu? Quoique vieux, J'ai de la mine encore assez pour plaire aux yeux. MASCARILLE Oui, vraiment, ce visage est encor fort mettable; S'il n'est pas des plus beaux, il est des agréables. ANSELME Si bien donc. MASCARILLE Si bien donc qu'elle est sotte de vous, Ne vous regarde plus. ANSELME Quoi? MASCARILLE Que comme un époux, Et vous veut. ANSELME Et me veut.? MASCARILLE Et vous veut, quoi qu'il tienne, Prendre la bourse. ANSELME La? MASCARILLE prend la bourse. La bouche avec la sienne. ANSELME Ah! je t'entends. Viens çà: lorsque tu la verras, Vante-lui mon mérite autant que tu pourras. MASCARILLE Laissez-moi faire. ANSELME Adieu. MASCARILLE Que le Ciel vous conduise! ANSELME Ah! vraiment je faisais une étrange sottise, Et tu pouvais pour toi m'accuser de froideur: Je t'engage à servir mon amoureuse ardeur, Je reçois par ta bouche une bonne nouvelle, Sans du moindre présent récompenser ton zèle. Tiens, tu te souviendras. MASCARILLE Ah! non pas, s'il vous plaît. ANSELME Laisse-moi. MASCARILLE Point du tout, j'agis sans intérêt. ANSELME Je le sais, mais pourtant. MASCARILLE Non, Anselme, vous dis-je: Je suis homme d'honneur, cela me désoblige. ANSELME Adieu donc, Mascarille. MASCARILLE Ô long discours! ANSELME Je veux Régaler par tes mains cet objet de mes vœux; Et je vais te donner de quoi faire pour elle L'achat de quelque bague, ou telle bagatelle Que tu trouveras bon. MASCARILLE Non, laissez votre argent; Sans vous mettre en souci, je ferai le présent, Et l'on m'a mis en main une bague à la mode, Qu'après vous payerez si cela l'accommode. ANSELME Soit, donne-la pour moi; mais surtout fais si bien, Qu'elle garde toujours l'ardeur de me voir sien.
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