L’Impromptu de Versailles Le texte de la Scène 4 de la pièce de Molière : L’Impromptu de Versailles
MOLIÈRE: "Voici un homme qui nous jugera. Chevalier! BRÉCOURT: "Quoi?" MOLIÈRE: Bon. Voilà l'autre qui prend le ton de marquis! Vous ai-je pas dit que vous faites un rôle où l'on doit parler naturellement? BRÉCOURT: Il est vrai. MOLIÈRE: Allons donc. "Chevalier! BRÉCOURT: "Quoi? MOLIÈRE: "Juge-nous un peu sur une gageure que nous avons faite. BRÉCOURT: "Et quelle? MOLIÈRE: "Nous disputons qui est le marquis de La Critique de Molière: il gage que c'est moi, et moi je gage que c'est lui. BRÉCOURT: "Et moi, je juge que ce n'est ni l'un ni l'autre. Vous êtes fous tous deux, de vouloir vous appliquer ces sortes de choses; et voilà de quoi j'ouïs l'autre jour se plaindre Molière, parlant à des personnes qui le chargeaient de même chose que vous. Il disait que rien ne lui donnait du déplaisir comme d'être accusé de regarder quelqu'un dans les portraits qu'il fait; que son dessein est de peindre les mœurs sans vouloir toucher aux personnes, et que tous les personnages qu'il représente sont des personnages en l'air, et des fantômes proprement, qu'il habille à sa fantaisie, pour réjouir les spectateurs; qu'il serait bien fâché d'y avoir jamais marqué qui que ce soit; et que si quelque chose était capable de le dégoûter de faire des comédies, c'était les ressemblances qu'on y voulait toujours trouver, et dont ses ennemis tâchaient malicieusement d'appuyer la pensée, pour lui rendre de mauvais offices auprès de certaines personnes à qui il n'a jamais pensé. Et en effet je trouve qu'il a raison, car pourquoi vouloir, je vous prie, appliquer tous ses gestes et toutes ses paroles, et chercher à lui faire des affaires en disant hautement: "Il joue un tel", lorsque ce sont des choses qui peuvent convenir à cent personnes? Comme l'affaire de la comédie est de représenter en général tous les défauts des hommes, et principalement des hommes de notre siècle, il est impossible à Molière de faire aucun caractère qui ne rencontre quelqu'un dans le monde. Et s'il faut qu'on l'accuse d'avoir songé toutes les personnes ou l'on peut trouver les défauts qu'il peint, il faut sans doute qu'il ne fasse plus de comédies. MOLIÈRE: "Ma foi, Chevalier, tu veux justifier Molière, et épargner notre ami que voilà. LA GRANGE: "Point du tout. C'est toi qu'il épargne, et nous trouverons d'autres juges. MOLIÈRE: "Soit. Mais, dis-moi, Chevalier, crois-tu pas que ton Molière est épuisé maintenant, et qu'il ne trouvera plus de matière pour.? BRÉCOURT: "Plus de matière? Eh! mon pauvre Marquis, nous lui en fournirons toujours assez, et nous ne prenons guère le chemin de nous rendre sages pour tout ce qu'il fait et tout ce qu'il dit." MOLIÈRE: Attendez, il faut marquer davantage tout cet endroit. écoutez-le-moi dire un peu. "Et qu'il ne trouvera plus de matière pour. - Plus de matière? Hé! mon pauvre Marquis, nous lui en fournirons toujours assez, et nous ne prenons guère le chemin de nous rendre sages pour tout ce qu'il fait et tout ce qu'il dit. Crois-tu qu'il ait épuisé dans ses comédies tout le ridicule des hommes? Et, sans sortir de la cour, n'a-t-il pas encore vingt caractères de gens où il n'a point touché? N'a-t-il pas, par exemple, ceux qui se font les plus grandes amitiés du monde, et qui, le dos tourné, font galanterie de se déchirer l'un l'autre? N'a-t-il pas ces adulateurs à outrance, ces flatteurs insipides, qui n'assaisonnent d'aucun sel les louanges qu'ils donnent, et dont toutes les flatteries ont une douceur fade qui fait mal au cœur à ceux qui les écoutent? N'a-t-il pas ces lâches courtisans de la faveur, ces perfides adorateurs de la fortune, qui vous encensent dans la prospérité et vous accablent dans la disgrâce? N'a-t-il pas ceux qui sont toujours mécontents de la cour, ces suivants inutiles, ces incommodes assidus, ces gens, dis-je, qui pour services ne peuvent compter que des importunités, et qui veulent que l'on les récompense d'avoir obsédé le prince dix ans durant? N'a-t-il pas ceux qui caressent également tout le monde, qui promènent leurs civilités à droit et à gauche, et courent à tous ceux qu'ils voient avec les mêmes embrassades et les mêmes protestations d'amitié? "Monsieur, votre très humble serviteur. - Monsieur, je suis tout à votre service. - Tenez-moi des vôtres, mon cher. - Faites état de moi, Monsieur, comme du plus chaud de vos amis. - Monsieur, je suis ravi de vous embrasser. - Ah! Monsieur, je ne vous voyais pas! Faites-moi la grâce de m'employer. Soyez persuadé que je suis entièrement à vous. Vous êtes l'homme du monde que je révère le plus. Il n'y a personne que j'honore à l'égal de vous. Je vous conjure de le croire. Je vous supplie de n'en point douter. - Serviteur. - Très humble valet". Va, va, Marquis, Molière aura toujours plus de sujets qu'il n'en voudra; et tout ce qu'il a touché jusqu'ici n'est rien que bagatelle au prix de ce qui reste." Voilà à peu près comme cela doit être joué. BRÉCOURT: C'est assez. MOLIÈRE: Poursuivez. BRÉCOURT: "Voici Climène et Élise." MOLIÈRE: Là-dessus vous arrivez toutes deux. (à Mademoiselle du Parc.) Prenez bien garde, vous, à vous déhancher comme il faut, et à faire bien des façons. Cela vous contraindra un peu; mais qu'y faire? Il faut parfois se faire violence. MADEMOISELLE MOLIÈRE: "Certes, Madame, je vous ai reconnue de loin, et j'ai bien vu à votre air que ce ne pouvait être une autre que vous. MADEMOISELLE DU PARC: "Vous voyez: je viens attendre ici la sortie d'un homme avec qui j'ai une affaire à démêler. MADEMOISELLE MOLIÈRE: "Et moi de même." MOLIÈRE: Mesdames, voilà des coffres qui vous serviront de fauteuils. MADEMOISELLE DU PARC: "Allons, Madame, prenez place, s'il vous plaît. MADEMOISELLE MOLIÈRE: "Après vous, Madame." MOLIÈRE: Bon. Après ces petites cérémonies muettes, chacun prendra place, et parlera assis, hors les marquis, qui tantôt se lèveront, et tantôt s'assoiront, suivant leur inquiétude naturelle. "Parbleu! Chevalier, tu devrais faire prendre médecine à tes canons. BRÉCOURT: "Comment? MOLIÈRE: "Ils se portent fort mal. BRÉCOURT: "Serviteur à la turlupinade! MADEMOISELLE MOLIÈRE: "Mon Dieu! Madame, que je vous trouve le teint d'une blancheur éblouissante, et les lèvres d'un couleur de feu surprenante! MADEMOISELLE DU PARC: "Ah! que dites-vous là, Madame? ne me regardez point, je suis du dernier laid aujourd'hui. MADEMOISELLE MOLIÈRE: "Eh, Madame, levez un peu votre coiffe. MADEMOISELLE DU PARC: "Fi! Je suis épouvantable, vous dis-je, et je me fais peur à moi-même. MADEMOISELLE MOLIÈRE: "Vous êtes si belle! MADEMOISELLE DU PARC: "Point, point. MADEMOISELLE MOLIÈRE: "Montrez-vous. MADEMOISELLE DU PARC: "Ah! fi donc, je vous prie! MADEMOISELLE MOLIÈRE: "De grâce. MADEMOISELLE DU PARC: "Mon Dieu, non. MADEMOISELLE MOLIÈRE: "Si fait. MADEMOISELLE DU PARC: "Vous me désespérez. MADEMOISELLE MOLIÈRE: "Un moment. MADEMOISELLE DU PARC: "Ahy. MADEMOISELLE MOLIÈRE: "Résolument, vous vous montrerez. On ne peut point se passer de vous voir. MADEMOISELLE DU PARC: "Mon Dieu, que vous êtes une étrange personne! Vous voulez furieusement ce que vous voulez. MADEMOISELLE MOLIÈRE: "Ah! Madame, vous n'avez aucun désavantage à paraître au grand jour, je vous jure. Les mêchantes gens qui assuraient que vous mettiez quelque chose! Vraiment, je les démentirai bien maintenant. MADEMOISELLE DU PARC: "Hélas! je ne sais pas seulement ce qu'on appelle mettre quelque chose. Mais où vont ces dames?
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