L’Impromptu de Versailles

Le texte de la Scène 5 de la pièce de Molière : L’Impromptu de Versailles
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MADEMOISELLE DE BRIE, MADEMOISELLE DU PARC, ETC.

MADEMOISELLE DE BRIE: "Vous voulez bien, Mesdames, que nous vous donnions, en passant, la plus agréable nouvelle du monde. Voilà Monsieur Lysidas, qui vient de nous avertir qu'on a fait une pièce contre Molière, que les grands comédiens vont jouer.

MOLIÈRE: "Il est vrai, on me l'a voulu lire; et c'est un nommé br. Brou. Brossaut qui l'a faite.

DU CROISY: "Monsieur, elle est affichée sous le nom de Boursaut; mais, à vous dire le secret, bien des gens ont mis la main à cet ouvrage, et l'on en doit concevoir une assez haute attente. Comme tous les auteurs et tous les comédiens regardent Molière comme leur plus grand ennemi, nous nous sommes tous unis pour le desservir. Chacun de nous a donné un coup de pinceau à son portrait; mais nous nous sommes bien gardés d'y mettre nos noms: il lui aurait été trop glorieux de succomber, aux yeux du monde, sous les efforts de tout le Parnasse; et pour rendre sa défaite plus ignominieuse, nous avons voulu choisir tout exprès un auteur sans réputation.

MADEMOISELLE DU PARC: "Pour moi, je vous avoue que j'en ai toutes les joies imaginables.

MOLIÈRE: "Et moi aussi. Par la sambleu! le railleur sera raillé; il aura sur les doigts, ma foi!

MADEMOISELLE DU PARC: "Cela lui apprendra à vouloir satiriser tout. Comment? cet impertinent ne veut pas que les femmes aient de l'esprit? Il condamne toutes nos expressions élevées, et prétend que nous parlions toujours terre à terre.

MADEMOISELLE DE BRIE: "Le langage n'est rien; mais il censure tous nos attachements, quelque innocents qu'ils puissent être; et de la façon qu'il en parle, c'est être criminelle que d'avoir du mérite.

MADEMOISELLE DU CROISY: "Cela est insupportable. Il n'y a pas une femme qui puisse plus rien faire. Que ne laisse-t-il en repos nos maris, sans leur ouvrir les yeux et leur faire prendre garde à des choses dont ils ne s'avisent pas?

MADEMOISELLE BÉJART: "Passe pour tout cela; mais il satirise même les femmes de bien, et ce méchant plaisant leur donne le titre d'honnêtes diablesses.

MADEMOISELLE MOLIÈRE: "C'est un impertinent. Il faut qu'il en ait tout le soûl.

DU CROISY: "La représentation de cette comédie, Madame, aura besoin d'être appuyée, et les comédiens de l'Hôtel.

MADEMOISELLE DU PARC: "Mon Dieu, qu'ils n'appréhendent rien. Je leur garantis le succès de leur pièce, corps pour corps.

MADEMOISELLE MOLIÈRE: "Vous avez raison, Madame. Trop de gens sont intéressés à la trouver belle. Je vous laisse à penser si tous ceux qui se croient satirisés par Molière, ne prendront pas l'occasion de se venger de lui en applaudissant à cette comédie.

BRÉCOURT: "Sans doute; et pour moi je réponds de douze marquis, de six précieuses, de vingt coquettes, et de trente cocus, qui ne manqueront pas d'y battre des mains.

MADEMOISELLE MOLIÈRE: "En effet. Pourquoi aller offenser toutes ces personnes-là, et particulièrement les cocus, qui sont les meilleurs gens du monde?

MOLIÈRE: "Par la sambleu! on m'a dit qu'on le va dauber, lui et toutes ses comédies, de la belle manière, et que les comédiens et les auteurs, depuis le cèdre jusqu'à l'hysope, sont diablement animés contre lui.

MADEMOISELLE MOLIÈRE: "Cela lui sied fort bien. Pourquoi fait-il de méchantes pièces que tout Paris va voir, et où il peint si bien les gens, que chacun s'y connaît? Que ne fait-il des comédies comme celles de Monsieur Lysidas? Il n'aurait personne contre lui et tous les auteurs en diraient du bien. Il est vrai que de semblables comédies n'ont pas ce grand concours de monde; mais, en revanche, elles sont toujours bien écrites, personne n'écrit contre elles, et tous ceux qui les voient meurent d'envie de les trouver belles.

DU CROISY: "Il est vrai que j'ai l'avantage de ne me point faire d'ennemis, et que tous mes ouvrages ont l'approbation des savants.

MADEMOISELLE MOLIÈRE: "Vous faites bien d'être content de vous. Cela vaut mieux que tous les applaudissements du public, et que tout l'argent qu'on saurait gagner aux pièces de Molière. Que vous importe qu'il vienne du monde à vos comédies, pourvu qu'elles soient approuvées par messieurs vos confrères?

LA GRANGE: "Mais quand jouera-t-on Le Portrait du peintre?

DU CROISY: "Je ne sais; mais je me prépare fort à paraître des premiers sur les rangs, pour crier: "Voilà qui est beau! "

MOLIÈRE: "Et moi de même, parbleu!

LA GRANGE: "Et moi aussi, Dieu me sauve!

MADEMOISELLE DU PARC: "Pour moi, j'y payerai de ma personne comme il faut; et je réponds d'une bravoure d'approbation, qui mettra en déroute tous les jugements ennemis. C'est bien la moindre chose que nous devions faire, que d'épauler de nos louanges le vengeur de nos intérêts.

MADEMOISELLE MOLIÈRE: "C'est fort bien dit.

MADEMOISELLE DE BRIE: "Et ce qu'il nous faut faire toutes.

MADEMOISELLE BÉJART: "Assurément.

MADEMOISELLE DU CROISY: "Sans doute.

MADEMOISELLE HERVÉ: "Point de quartier à ce contrefaiseur de gens.

MOLIÈRE: "Ma foi, Chevalier, mon ami, il faudra que ton Molière se cache.

BRÉCOURT: "Qui, lui? Je te promets, Marquis, qu'il fait dessein d'aller, sur le théâtre, rire avec tous les autres du portrait qu'on a fait de lui.

MOLIÈRE: "Parbleu! ce sera donc du bout des dents qu'il y rira.

BRÉCOURT: "Va, va, peut-être qu'il y trouvera plus de sujets de rire que tu ne penses. On m'a montré la pièce; et comme tout ce qu'il y a d'agréable sont effectivement les idées qui ont été prises de Molière, la joie que cela pourra donner n'aura pas lieu de lui déplaire, sans doute; car, pour l'endroit où on s'efforce de le noircir, je suis le plus trompé du monde, si cela est approuvé de personne; et quant à tous les gens qu'ils ont tâché d'animer contre lui, sur ce qu'il fait, dit-on, des portraits trop ressemblants, outre que cela est de fort mauvaise grâce, je ne vois rien de plus ridicule et de plus mal repris; et je n'avais pas cru jusqu'ici que ce fût un sujet de blâme pour un comédien, que de peindre trop bien les hommes.

LA GRANGE: "Les comédiens m'ont dit qu'ils l'attendaient sur la réponse, et que.

BRÉCOURT: "Sur la réponse? Ma foi, je le trouverais un grand fou, s'il se mettait en peine de répondre à leurs invectives. Tout le monde sait assez de quel motif elles peuvent partir; et la meilleure réponse qu'il leur puisse faire, c'est une comédie qui réussisse comme toutes ses autres. Voilà le vrai moyen de se venger d'eux comme il faut; et de l'humeur dont je les connais, je suis fort assuré qu'une pièce nouvelle qui leur enlèvera le monde, les fâchera bien plus que toutes les satires qu'on pourrait faire de leurs personnes.

MOLIÈRE: "Mais, Chevalier."

MADEMOISELLE BÉJART: Souffrez que j'interrompe pour un peu la répétition. Voulez-vous que je vous die? Si j'avais été en votre place, j'aurais poussé les choses autrement. Tout le monde attend de vous une réponse vigoureuse; et après la manière dont on m'a dit que vous étiez traité dans cette comédie, vous étiez en droit de tout dire contre les comédiens, et vous deviez n'en épargner aucun.

MOLIÈRE: J'enrage de vous ouïr parler de la sorte; et voilà votre manie, à vous autres femmes. Vous voudriez que je prisse feu d'abord contre eux, et qu'à leur exemple j'allasse éclater promptement en invectives et en injures. Le bel honneur que j'en pourrais tirer, et le grand dépit que je leur ferais! Ne se sont-ils pas préparés de bonne volonté à ces sortes de choses? Et lorsqu'ils ont délibéré s'ils joueraient Le Portrait du peintre, sur la crainte d'une riposte, quelques-uns d'entre eux n'ont-ils pas répondu: "Qu'il nous rende toutes les injures qu'il voudra, pourvu que nous gagnions de l'argent?" N'est-ce pas là la marque d'une âme fort sensible à la honte? Et ne me vengerais-je pas bien d'eux en leur donnant ce qu'ils veulent bien recevoir?

MADEMOISELLE DE BRIE: Ils se sont fort plaints, toutefois, de trois ou quatre mots que vous avez dits d'eux dans La Critique et dans vos Précieuses.

MOLIÈRE: Il est vrai, ces trois ou quatre mots sont fort offensants, et ils ont grande raison de les citer. Allez, allez, ce n'est pas cela. Le plus grand mal que je leur aie fait, c'est que j'ai eu le bonheur de plaire un peu plus qu'ils n'auraient voulu; et tout leur procédé, depuis que nous sommes venus à Paris, a trop marqué ce qui les touche. Mais laissons-les faire tant qu'ils voudront; toutes leurs entreprises ne doivent point m'inquiéter. Ils critiquent mes pièces: tant mieux; et Dieu me garde d'en faire jamais qui leur plaise! Ce serait une mauvaise affaire pour moi.

MADEMOISELLE DE BRIE: Il n'y a pas grand plaisir pourtant à voir déchirer ses ouvrages.

MOLIÈRE: Et qu'est-ce que cela me fait? N'ai-je pas obtenu de ma comédie tout ce que j'en voulais obtenir, puisqu'elle a eu le bonheur d'agréer aux augustes personnes à qui particulièrement je m'efforce de plaire? N'ai-je pas lieu d'être satisfait de sa destinée, et toutes leurs censures ne viennent-elles pas trop tard? Est-ce moi, je vous prie, que cela regarde maintenant? Et lorsqu'on attaque une pièce qui a eu du succès, n'est-ce pas attaquer plutôt le jugement de ceux qui l'ont approuvée, que l'art de celui qui l'a faite?

MADEMOISELLE DE BRIE: Ma foi, j'aurais joué ce petit Monsieur l'auteur, qui se mêle d'écrire contre des gens qui ne songent pas à lui.

MOLIÈRE: Vous êtes folle. Le beau sujet à divertir la cour que Monsieur Boursaut! Je voudrais bien savoir de quelle façon on pourrait l'ajuster pour le rendre plaisant, et si, quand on le bernerait sur un théâtre, il serait assez heureux pour faire rire le monde. Ce lui serait trop d'honneur que d'être joué devant une auguste assemblée: il ne demanderait pas mieux: et il m'attaque de gaieté de cœur, pour se faire connaître de quelque façon que ce soit. C'est un homme qui n'a rien à perdre, et les comédiens ne me l'ont déchaîné que pour m'engager à une sotte guerre, et me détourner, par cet artifice, des autres ouvrages que j'ai à faire; et cependant, vous êtes assez simples pour donner toutes dans ce panneau. Mais enfin j'en ferai ma déclaration publiquement. Je ne prétends faire aucune réponse à toutes leurs critiques et leurs contre-critiques. Qu'ils disent tous les maux du monde de mes pièces, j'en suis d'accord. Qu'ils s'en saisissent après nous, qu'ils les retournent comme un habit pour les mettre sur leur théâtre, et tâchent à profiter de quelque agrément qu'on y trouve, et d'un peu de bonheur que j'ai, j'y consens: ils en ont besoin, et je serai bien aise de contribuer à les faire subsister, pourvu qu'ils se contentent de ce que je puis leur accorder avec bienséance. La courtoisie doit avoir des bornes; et il y a des choses qui ne font rire ni les spectateurs, ni celui dont on parle. Je leur abandonne de bon cœur mes ouvrages, ma figure, mes gestes, mes paroles, mon ton de voix, et ma façon de réciter, pour en faire et dire tout ce qu'il leur plaira, s'ils en peuvent tirer quelque avantage: je ne m'oppose point à toutes ces choses, et je serai ravi que cela puisse réjouir le monde. Mais en leur abandonnant tout cela, ils me doivent faire la grâce de me laisser le reste et de ne point toucher à des matières de la nature de celles sur lesquelles on m'a dit qu'ils m'attaquaient dans leurs comédies. C'est de quoi je prierai civilement cet honnête Monsieur qui se mêle d'écrire pour eux, et voilà toute la réponse qu'ils auront de moi.

MADEMOISELLE BÉJART: Mais enfin.

MOLIÈRE: Mais enfin, vous me feriez devenir fou. Ne parlons point de cela davantage; nous nous amusons à faire des discours, au lieu de répéter notre comédie. Où en étions-nous? Je ne m'en souviens plus.

MADEMOISELLE DE BRIE: Vous en étiez à l'endroit.

MOLIÈRE: Mon Dieu! j'entends du bruit: c'est le Roi qui arrive assurément; et je vois bien que nous n'aurons pas le temps de passer outre. Voilà ce que c'est de s'amuser. Oh bien! faites donc pour le reste du mieux qu'il vous sera possible.

MADEMOISELLE BÉJART: Par ma foi, la frayeur me prend, et je ne saurais aller jouer mon rôle, si je ne le répète tout entier.

MOLIÈRE: Comment, vous ne sauriez aller jouer votre rôle?

MADEMOISELLE BÉJART: Non.

MADEMOISELLE DU PARC: Ni moi le mien.

MADEMOISELLE DE BRIE: Ni moi non plus.

MADEMOISELLE MOLIÈRE: Ni moi.

MADEMOISELLE HERVÉ: Ni moi.

MADEMOISELLE DU CROISY: Ni moi.

MOLIÈRE: Que pensez-vous donc faire? Vous moquez-vous toutes de moi?
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