La Jalousie du Barbouillé Le texte de la onzième scène de la pièce de Molière : La Jalousie du Barbouillé
LE BARBOUILLÉ: Cathau, Cathau! Hé bien! Qu'a-t-elle fait, Cathau? Et d'où venez-vous, madame la carogne, à l'heure qu'il est, et par le temps qu'il fait? ANGÉLIQUE: D'où je viens? ouvre-moi seulement, et je te le dirai après. LE BARBOUILLÉ: Oui? Ah! ma foi, tu peux aller coucher d'où tu viens, ou, si tu l'aimes mieux, dans la rue: je n'ouvre point à une coureuse comme toi. Comment, diable! être toute seule à l'heure qu'il est! Je ne sais si c'est imagination, mais mon front m'en paraît plus rude de moitié. ANGÉLIQUE: Hé bien! pour être toute seule, qu'en veux-tu dire? Tu me querelles quand je suis en compagnie: comment faut-il donc faire? LE BARBOUILLÉ: Il faut être retirée à la maison, donner ordre au souper, avoir soin du ménage, des enfants; mais sans tant de discours inutiles, adieu, bonsoir, va-t'en au diable et me laisse en repos. ANGÉLIQUE: Tu ne veux pas m'ouvrir? LE BARBOUILLÉ: Non, je n'ouvrirai pas. ANGÉLIQUE: Hé! mon pauvre petit mari, je t'en prie, ouvre-moi, mon cher petit cur. LE BARBOUILLÉ: Ah, crocodile! ah, serpent dangereux! tu me caresses pour me trahir. ANGÉLIQUE: Ouvre, ouvre donc. LE BARBOUILLÉ: Adieu! Vade retro, Satanas. ANGÉLIQUE: Quoi? tu ne m'ouvriras point? LE BARBOUILLÉ: Non. ANGÉLIQUE: Tu n'as point de pitié de ta femme, qui t'aime tant? LE BARBOUILLÉ: Non, je suis inflexible: tu m'as offensé, je suis vindicatif comme tous les diables, c'est-à-dire bien fort; je suis inexorable. ANGÉLIQUE: Sais-tu bien que si tu me pousses à bout, et que tu me mettes en colère, je ferai quelque chose dont tu te repentiras? LE BARBOUILLÉ: Et que feras-tu, bonne chienne? ANGÉLIQUE: Tiens, si tu ne m'ouvres, je m'en vais me tuer devant la porte; mes parents, qui sans doute viendront ici auparavant de se coucher, pour savoir si nous sommes bien ensemble, me trouveront morte, et tu seras pendu. LE BARBOUILLÉ: Ah, ah, ah, ah, la bonne bête! et qui y perdra le plus de nous deux? Va, va, tu n'es pas si sotte que de faire ce coup-là. ANGÉLIQUE: Tu ne le crois donc pas? Tiens, tiens, voilà mon couteau tout prêt: si tu ne m'ouvres, je m'en vais tout à cette heure m'en donner dans le cur. LE BARBOUILLÉ: Prends garde, voilà qui est bien pointu. ANGÉLIQUE: Tu ne veux donc pas m'ouvrir? LE BARBOUILLÉ: Je t'ai déjà dit vingt fois que je n'ouvrirai point; tue-toi, crève, va-t'en au diable, je ne m'en soucie pas. ANGÉLIQUE, faisant semblant de se frapper: Adieu donc!. Ay! je suis morte. LE BARBOUILLÉ: Serait-elle bien assez sotte pour avoir fait ce coup-là? Il faut que je descende avec la chandelle pour aller voir. ANGÉLIQUE: Il faut que je t'attrape. Si je peux entrer dans la maison subtilement, cependant que tu me chercheras, chacun aura bien son tour. LE BARBOUILLÉ: Hé bien! ne savais-je pas bien qu'elle n'était pas si sotte? Elle est morte, et si elle court comme, le cheval de Pacolet. Ma foi, elle m'avait fait peur tout de bon. Elle a bien fait de gagner au pied; car si je l'eusse trouvée en vie, après m'avoir fait cette frayeur-là, je lui aurais apostrophé cinq ou six clystères de coups de pied dans le cul, pour lui apprendre à faire la bête. Je m'en vais me coucher cependant. Oh! oh! Je pense que le vent a fermé la porte. Hé! Cathau, Cathau, ouvre-moi. ANGÉLIQUE: Cathau, Cathau! Hé bien! qu'a-t-elle fait, Cathau? Et d'où venez-vous, Monsieur l'ivrogne? Ah! vraiment, va, mes parents, qui vont venir dans un moment, sauront tes vérités. Sac à vin infâme, tu ne bouges du cabaret, et tu laisses une pauvre femme avec des petits enfants, sans savoir s'ils ont besoin de quelque chose, à croquer le marmot tout le long du jour. LE BARBOUILLÉ: Ouvre vite, diablesse que tu es, ou je te casserai la tête.
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