Les Précieuses Ridicules Le texte de la scène 11 de la pièce de Molière : Les Précieuses ridicules
JODELET: s'embrassant l'un l'autre . Ah! marquis! MASCARILLE: Que je suis aise de te rencontrer! JODELET: Que j'ai de joie de te voir ici! MASCARILLE: Baise-moi donc encore un peu, je te prie. MAGDELON: Ma toute bonne, nous commençons d'être connues; voilà le beau monde qui prend le chemin de nous venir voir. MASCARILLE: Mesdames, agréez que je vous présente ce gentilhomme-ci: sur ma parole, il est digne d'être connu de vous. JODELET: Il est juste de venir vous rendre ce qu'on vous doit; et vos attraits exigent leurs droits seigneuriaux sur toutes sortes de personnes. MAGDELON: C'est pousser vos civilités jusqu'aux derniers confins de la flatterie. CATHOS: Cette journée doit être marquée dans notre almanach comme une journée bienheureuse. MAGDELON: Allons, petit garçon, faut-il toujours vous répéter les choses? Voyez-vous pas qu'il faut le surcroît d'un fauteuil? MASCARILLE: Ne vous étonnez pas de voir le Vicomte de la sorte; il ne fait que sortir d'une maladie qui lui a rendu le visage pâle comme vous le voyez. JODELET: Ce sont fruits des veilles de la cour et des fatigues de la guerre. MASCARILLE: Savez-vous, Mesdames, que vous voyez dans le Vicomte un des plus vaillants hommes du sciècle? C'est un brave à trois poils. JODELET: Vous ne m'en devez rien, Marquis; et nous savons ce que vous savez faire aussi. MASCARILLE: Il est vrai que nous nous sommes vus tous deux dans l'occasion. JODELET: Et dans des lieux où il faisoit fort chaud. MASCARILLE: les regardant toutes deux . Oui: mais non pas si chaud qu'ici. Hai, hai, hai! JODELET: Notre connoissance s'est faite à l'armée; et la première fois que nous nous vîmes, il commandoit un régime de cavalerie sur les galères de Malte. MASCARILLE: Il est vrai; mais vous étiez pourtant dans l'emploi avant que j'y fusse; et je me souviens que je n'étois que petit officier encore, que vous commandiez deux milles chevaux. JODELET: La guerre est une belle chose; mais, ma foi, la cour récompense bien mal aujourd'hui les gens de service comme nous. MASCARILLE: C'est ce qui fait que je veux pendre l'épée au croc. CATHOS: Pour moi, j'ai un furieux tendre pour les hommes d'épée. MAGDELON: Je les aime aussi; mais je veux que l'esprit assaisonne la bravoure. MASCARILLE: Te souvient-il, Vicomte, de cette demi-lune que nous emportâmes sur les ennemis au siége d'Arras? JODELET: Que veux-tu dire avec ta demi-lune? C'étoit bien une lune toute entière. MASCARILLE: Je pense que tu as raison. JODELET: Il m'en doit bien souvenir, ma foi: j'y fus blessé à la jambe d'un coup de grenade, dont je porte encore les marques. Tâtez un peu, de grâce, vous sentirez quelque coup, c'étoit là. CATHOS: Il est vrai que la cicatrice est grande. MASCARILLE: Donnez-moi un peu votre main, et tâtez celui-ci, là, justement au derrière de la tête: y êtes-vous? MAGDELON: Oui, je sens quelque chose. MASCARILLE: C'est un coup de mousquet que je reçus la dernière campagne que j'ai faite. JODELET: Voici un autre coup qui me perça de part en part à l'attaque de Gravelines. MASCARILLE: mettant la main sur le bouton de son haut-de-chausses. Je vais vous montrer une furieuse plaie. MAGDELON: Il n'est pas nécessaire: nous le croyons sans y regarder. MASCARILLE: Ce sont des marques honorables qui font voir ce qu'ont est. CATHOS: Nous ne doutons point de ce que vous êtes. MASCARILLE: Vicomte, as-tu là ton carrosse? JODELET: Pourquoi? MASCARILLE: Nous mènerions promener ces Dames hors des portes, et leur donnerions un cadeau. MAGDELON: Nous ne saurions sortir aujourd'hui. MASCARILLE: Ayons donc les violons pour danser. JODELET: Ma foi, c'est bien avisé. MAGDELON: Pour cela, nous y consentons; mais il faut donc quelque surcroît de compagnie. MASCARILLE: Holà! Champagne, Picard, Bourguignon, Casquaret, Basque, la Verdure, Lorrain, Provençal, la Violette! Au diable soient tous ces laquais! Je ne pense pas qu'il y ait gentilhomme en France plus mal servi que moi. Ces canailles me laissent toujours seul. MAGDELON: Almanzor, dites aux gens de Monsieur qu'ils aillent querir des violons, et nous faites venir ces Messieurs et ces Dames d'ici près, pour peupler la solitude de notre bal. MASCARILLE: Vicomte, que dis-tu de ces yeux? JODELET: Mais toi-même, Marquis, que t'en semble? MASCARILLE: Moi, je dis que nos libertés auront peine à sortir d'ici les braies nettes. Au moins, pour moi, je reçois d'étranges secousses, et mon cœur ne tient plus qu'à un filet. MAGDELON: Que tout ce qu'il dit est naturel! Il tourne les choses le plus agréablement du monde. CATHOS: Il est vrai qu'il fait une furieuse dépense en esprit. MASCARILLE: Pour vous montrer que je suis véritable, je veux faire un impromptu là-dessus. CATHOS: Eh! je vous en conjure de toute la dévotion de mon cœur: que nous ayons quelque chose qu'on ait fait pour nous. JODELET: J'aurois envie d'en faire autant; mais je me treuve un peu incommodé de la veine poétique, pour la quantité des saignées que j'y ai faites ces jours passés. MASCARILLE: Que diable est cela? Je fais toujours bien le premier vers; mais j'ai peine à faire les autres. Ma foi, ceci est un peu trop pressé: je vous ferai un impromptu à loisir, que vous trouverez le plus beau du monde. JODELET: Il a de l'esprit comme un démon. MAGDELON: Et du galant, et du bien tourné. MASCARILLE: Vicomte, dites-moi un peu, y a-t-il longtemps que tu n'as vu la Comtesse? JODELET: Il y a plus de trois semaines que je ne lui ai rendu visite. MASCARILLE: Sais-tu bien que le Duc m'est venu voir ce matin, et m'a voulu mener à la campagne courir un cerf avec lui? MAGDELON: Voici nos amies qui viennent.
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